Les langues paternelles

Il est sorti le livre. En janvier. Il est là. Je les entends déjà, les pauvres langues paternelles. Tu en as encore fait de belles, mon fils. C'est quoi ce livre? Ca parle de moi? Je le savais, que tu y viendrais. Mais ce masque, là, ça rime à quoi? Tu ne te trouves pas assez beau, c'est ça? Ou alors je te fais honte? Mais non papa. D'abord tu es mort. C'est par rapport aux enfants. Je. Bon. C'est vrai que c'est une situation impossible papa. Ca ne m'étonne pas mon fils. Tu tiens de moi.

Nom :
Lieu : France

07 mars 2007

Juste un tout petit point

Bonjour Monsieur. J'ai une très bonne nouvelle pour vous. Voilà. Vraiment une bonne nouvelle. Nous avons réussi à vendre les droits des Langues paternelles aux éditions Point Seuil. Bonne nouvelle, non? Mais voilà. Il y a juste un petit point que je voudrais voir avec vous. Ils voudraient mettre votre photo. Avec un bandeau. Avec. Votre vrai nom. Maintenant que vous vous êtes dévoilé, ça ne posera pas de problème. Evidemment c'est plus vendeur. Est-ce qu'ils en font une condition? Je ne sais pas. Disons que c'est plus vendeur. Ah vous ne voulez pas? Vraiment pas? Même si? Bon. Je parle avec eux, et je reviens vers vous.

13 février 2007

Le train est en marche

Cher David Serge,

D'abord, un infini merci pour vos mots.Ils auraient pu me bousculer, me secouer, ils m'ont plutôt remis les idées en place. emboîté avec moi-même.

Je le cherchais, le père. Dix ans que je le cherchais. Alors c'est ça. Un homme. Si je m'attendais.

Et d'emblée l'immense envie de vous ajouter à mes Napoléons, mes Henri IV et mes Rivoire. David Serge. Napoléon, Henri IV, David Serge mais. Mais ma tendance aux pieds joints. Mais la conscience du processus. Mais votre pied dans la dialectique.Un homme.Comme c'est apaisant de l'entendre, de le dire.Je cherchais une statue, je trouve un homme. Tous les hommes.A un virage de mon chemin, nez à nez avec moi-même. une boucle bouclée, ce chemin-là. J'ai gagné du temps en passant boire un café dans votre maison de mots. un raccourci sur mon petit chemin. car il est tout neuf mon chemin. à peine vingt-cinq ans que je marche.J'aurais aimé que ces mots viennent du mien. de mon petit papa.mais il ne parle ma langue.et vous les avez offert au monde. maintenant le monde peut les offrir et les recevoir.la boucle bouclée. l'apaisement.

C'est pour cet apaisement-là que je vous écris. Cet enthousiasme de grand chemin.Pour vous donner des nouvelles de David à Bruxelles.Oui, il a fait bon chemin. oui, il est bien arrivé, il a bien raconté.Et l'envie de le raconter à son tour. Raconter David.Mais comment.J'ai rencontré Antoine qui m'a raconté David. On trouvera des traces sonores de cette rencontre ici <" target="http://www.defacto-asbl.be/forum/viewtopic.php?id=288>">http://www.defacto-asbl.be/forum/viewtopic.php?id=288>Le train est en marche.Merci.Loriane

27 décembre 2006

Laurent Bonelli

Sa voix sur le répondeur, je m'en souviens encore.

Ses mots décousus par la nuit blanche, tordus par les vibrations de la découverte. Je les avais transcrits ici, encore bouleversé d'offrir cette émotion-là à un lecteur.

Et l'autre jour, dans Le Monde, ceci:

Libraire et critique, Laurent Bonelli est mort, à l'âge de 39 ans, mardi 19 décembre, d'un cancer foudroyant.
« La vie est belle », aimait à répéter Laurent Bonelli. Si la sienne fut malheureusement brève - elle fut pleine aussi, à l'image d'un homme généreux et sensible, qui n'a vécu que pour sa passion du livre.
Né à Marseille le 24 février 1967 au sein d'une famille corse, Laurent Bonelli préféra dès l'enfance le silence des bibliothèques et le rendez-vous silencieux des romans aux éclats turbulents des jeux de son âge.
Engagé après le baccalauréat dans des études de droit, à Aix-en-Provence, il tente le concours de la magistrature. Son échec le ramène aux livres. Celui qui se considérait comme « un bébé Fnac » gagne Dijon pour y tenir une caisse du magasin de l'enseigne culturelle, s'y fait remarquer en aidant au rangement des titres, mais plus encore par son sens du conseil. Le voilà libraire.
Après la Fnac, ce sera le Furet du Nord à Lille, puis le Virgin des Champs-Elysées à Paris qu'il devait quitter le 20 décembre. La mort a raccourci d'un jour l'échéance.
La soif de communiquer ses coups de coeur comme son don pour la communication en fait un prescripteur bien au-delà de son magasin. D'abord chroniqueur dans l'émission de Pascale Clark « Tam Tam » sur France Inter, il est bientôt invité dans l'émission de Michel Field sur Paris Première et parle littérature dans la matinale de Sophie Davant sur France 2. Rien d'étonnant quand on sait que dès l'explosion des radios libres, Laurent Bonelli réalisait - à 14 ans ! - la première interview de Céline Dion pour NRJ, il y a déjà vingt-cinq ans...
En décembre 2005, il tente de lancer son propre magazine littéraire sur Pink TV, « Bibliothèque Pink » avec Pascal Sevran et Mehdi Hachemi, animateur de la librairie Blue Book Paris, dont il envisageait de participer au développement. Aventure sans lendemain désormais.
Ceux qui ont connu Laurent Bonelli se souviennent d'un être plein de vie, bohème et discret, très attentif aux autres. A tel point que, dans un milieu peu indulgent, il ne se rencontrait personne pour en dire du mal.
LÉGÈRETÉ ÉLÉGANTE
Depuis peu directeur de collection chez Robert Laffont (il y amena, de chez Delphine Montalant, Jean-Philippe Blondel, qu'il avait découvert en critique), il savait comme personne trouver des titres aux romans qu'il aimait ( En l'absence des hommes, de Philippe Besson, Julliard), comme Les Yeux jaunes des crocodiles (Albin Michel), de son amie Katherine Pancol, ou Jusqu'à la lumière, prochain roman de Michel Canesi et Jamil Rahmani, dont Le Syndrome de Lazare vient de paraître (Le Rocher).
S'il ne partait jamais en vacances sans une valise bourrée de livres (jusqu'à une quarantaine !), ce fan de séries américaines et de comédies musicales s'est aussi essayé à l'écriture. De chansons. Rendez-vous avec le prochain album d'Hervé Vilard.
Une légèreté élégante à l'image de l'homme, profondément attachant.


Philippe-Jean Catinchi

Au revoir, Laurent Bonelli. Et merci.

04 décembre 2006

Trois David à Bruxelles ?

Cher D.S.,

Il y a quelques mois, vous aviez qualifié mes mots de « stupéfiants » sur le blog des Langues paternelles. Sur mon blog, j'avais dit à quel point la lecture de votre livre m'avait bousculé, remué, positivement ému, combien il m'avait fait comprendre beaucoup de moi-même et de mon histoire et combien j'adhérais à la démarche littéraire dans laquelle il s'inscrit.

Aujourd'hui, je viens à nouveau vous parler des Langues paternelles, mais dans une visée – je l'avoue – un peu plus intéressée. Il se trouve que je suis metteur en scène et que je souhaite adapter votre livre au théâtre.Ce souhait s'inscrit dans le prolongement d'une démarche plus vaste. Dans la foulée d'un spectacle précédent que j'avais consacré à l'engagement en littérature et qui se présentait sous la forme d'un collage littéraire (plusieurs bribes de textes divers y étaient présentées), je désirais élaborer un nouveau collage consacré à la paternité et à la filiation. Après lecture de votre livre, il me semblait évident que des extraits devaient se trouver dans ce spectacle. A mesure que le travail de découpage/collage avançait (travail mené avec mon comparse Thomas Depryck, un temps nommé Tétanos sur le web), la place laissée aux Langues paternelles dans le spectacle grandissait. Au point que nous avons décidé d'abandonner le projet initial et que je vous demande aujourd'hui l'autorisation d'adapter votre livre pour la scène (...).

Je vis et travaille à Bruxelles, où j'anime le collectif De Facto. Il s'agit d'un collectif « semi-professionnel ». Le mot peut faire sourire, il ne veut pas dire grand chose si ce n'est que nous ne vivons pas du théâtre. En d'autres termes, notre travail bénéficie actuellement de budgets de création corrects mais pas de salaires, ce qui n'est pas une volonté mais un état de fait, provisoire je l'espère.Le théâtre auquel je souhaite déposer prochainement, si vous le permettez, une demande d'aide à la création est le « Théâtre de l'L », lieu de création contemporaine situé à Bruxelles (Ixelles), subventionné par le Ministère de la Culture de la Communauté Française de Belgique (...). Deux mots sur mon travail de metteur en scène et la manière dont je l'envisage : je tente d'interroger les formes de représentations, ce qui se concrétise dans des spectacles sans « quatrième mur », où les différentes formes de l'adresse au public sont explorées. J'essaie de créer des spectacles dans lesquels l'activité du spectateur est stimulée, où les notions de rythmes, de pulsions et de langue sont prépondérantes, où le réel est en permanence remis en question. Dans le cas qui nous occupe, j'envisage un dispositif au sein duquel trois comédiens assumeraient alternativement ou simultanément le rôle de David, dispositif permettant un jeu polyphonique riche et stimulant.Actuellement, je ne vous demande rien d'autre qu'un « pré-accord » informel, à la suite duquel j'entamerais le travail d'adaptation et les discussions avec mon équipe. (...)

Je reste à votre complète disponibilité pour tout renseignement complémentaire et tiens à vous réaffirmer mon envie très forte de porter vos mots à la scène, de prendre cette matière à bras-le-corps et de la faire entendre.

Bien à vous,
Antoine Laubin.

07 novembre 2006

Dans l'amphi Richelieu, Chelon

Ah te voilà toi. Chelon à la Sorbonne. Mais oui le vieux Chelon tout chenu continue. Chelon à la Sorbonne pour un soir, un récital n'importe quoi dans l'amphi Richelieu, Pierre a des invitations (Pierre est à la Sorbonne, je ne vous avais pas dit?)

Ah te voilà toi. Chelon à la Sorbonne. C'est le point de jonction. J'ai mis le livre dans une enveloppe. C'est l'occasion. Trois chansons, quatre et cinq. Six peut-être. C'est une soirée chanson française. C'est chenu, dans l'amphi. Ca sort d'on ne sait où.

Ah te voilà toi. Le livre est dans l'enveloppe. Dans les chansons, père prodigue, il fallait qu'il la chante, celle-là. Il fallait bien qu'il la ressorte. Un rappel, et il sort de l'amphi Richelieu. Galopade dans les couloirs. Où est la loge, où est la loge?

Ah te voilà toi. Monsieur Chelon voilà. C'est un livre. Sur la paternité. C'est pas prémédité je le jure. Mais pendant l'écriture, les mots de la chanson s'y sont un peu mélangés à mes mots. Enfin c'est à dire que. Pas pu m'en dépêtrer. Donc ils y sont, là-dedans, les mots de la chanson. Père prodigue. Vous comprenez ce que je veux dire, Monsieur Chelon? Bien entendu que non. Les chanteurs ne comprennent jamais ce qu'on leur dit en loge, après le récital. Rincés les chanteurs. Les mots leur glissent sur le pelage comme une eau claire. Ils ne sont bons que pour la douche de plaisir. Vous comprenez Monsieur Chelon? Vous comprenez cette chanson comme elle m'a poursuivi et encore tout à l'heure, dans l'amphi, le frisson. Vous comprenez? Bien sûr que non toujours la vieille scène de la loge qui recommence et me poursuit, Guitry, Benabar, et maintenant Chelon. Toujours la vieille histoire. Mais j'ai le livre, moi, qui explique tout, vous comprenez? J'ai le livre qui dit ce que je ne sais pas dire. Vous n'avez qu'à le prendre. Et le lire peut-être. Il y a une adresse mail, à la fin.

01 septembre 2006

Et maintenant, patriarche

Et maintenant qu’est ce que tu fais ? Désormais, je fais patriarche. Patriarche débutant, c’est mon nouveau boulot. Ca vous tombe sur la tête du jour au lendemain, plus personne au dessus, le ciel est dégagé, faut croire que c’est mon tour. Quarante-huit ans c’est un peu jeune pour le rôle, mais être le plus jeune tu as toujours aimé, ne dis pas le contraire. Tes chansons à vingt ans, ta carte famille nombreuse à trente-trois, aujourd’hui patriarche. A force d’être toujours pressé, voilà ce qui arrive.

Ce n’est pas moi qui ai décidé, maman, c’est la douleur. Devenir patriarche, c’est recevoir en première ligne une révélation inattendue, celle de la douleur. Ca m’est tombé dessus si vous voulez savoir en arrivant à Jeanne Garnier, pour la levée du corps. Sortant de la voiture Pierre dit puisqu’on est dans le quartier, il y a un magasin de peinture, il faut que j’achète du vernis pour un tableau. Cette blessure-là, inattendue. Cette douleur-là, immédiate. Petite, pas insoutenable, ne pas exagérer, mais très précise, très aigue, très nouvelle, très personnelle. Non tu ne vas pas t’acheter du vernis en attendant qu’on emmène Mamie à neuf heures quarante-cinq, même si c’est dans le quartier, et que c’est super pratique. Manque de respect scandaleux. Une voix foudroie doucement, et c'est la mienne. L’intuition foudroyante des choses qui ne se font pas. La douleur des manques de respect, c’est moi qu’elle vient brûler, désormais. Le respect dû à la famille. Hé l’héritier, tu la joues Corleone ? Vous pouvez rire. Au coin d’une rue du quinzième j’ai rencontré une douleur nouvelle. Elle m’a reconnu, abordé. Un peu paumée sans doute, un peu virevoltante, il lui fallait un corps où se lover. Et c’était moi. C’est une douleur indubitable, totalement légitime. Une douleur de patriarche. Bienvenue au club.

C’est elle qui dicte désormais, et j’exécute. Le voilà le secret, si vous voulez savoir, si ça vous intéresse. Les patriarches ont une maitresse intérieure, c’est leur douleur. Patriarcale, si vous voulez. C’est elle qui décide qui viendra à la levée du corps, et rejoindra directement au cimetière. Comment on va se placer, sous l’abri du cimetière, pour ne pas prendre la pluie, et le cercueil ici, dans ce sens-là, et le rabbin par là. Même la place du rabbin, un vieux rabbin pourtant, c’est elle qui en décide, et j’exécute. C’est elle qui dicte la liste des invités au repas de deuil. Et la cartographie nouvelle des familles N’importe quoi, c’est avec elle qu’il me revient de la dessiner. C’est elle qui organise les retours sur Paris, pour que personne ne reste en rade. Qui recueille en silence les douleurs solitaires. Qui écoute insondable les chagrins de famille, et les prend sous son aile. C’est elle qui dicte ces phrases hier encore incroyables, et que ma bouche prononce. Maman sur son lit de mort, par exemple. Devant maman sur son lit de mort je me suis juré que. Maman sur son lit de mort m’a demandé de. On se l’est promis devant maman sur son lit de mort. Mamansursonlitdemort, tu imagines ?

Dans ce nouveau boulot, dans ce nouvel empire, il y a autre chose, dans un recoin bien sombre. Les histoires de famille. Pas de doute elles sont bien au rendez-vous celles-là, dans le paquet-cadeau. Les haines les rancunes les fâcheries inexpiables. La conservation des rancunes et l’octroi des pardons, c’est la douleur qui en décide, aussi, et mon nouveau boulot c’est de lui obéir. Conservateur en chef des histoires de famille, ou gardien-chef du zoo, comme on voudra. Hé oui le débutant, c’est à toi de dresser la liste des destinataires de nos paroles parcimonieuses ou cordiales, et de nos dignes silences. De qui on préviendra, et quand. Les mots de la douleur et du pardon il te revient de les former, sur la feuille, comme jadis.

24 août 2006

Jardin dernier

C'est un métier, jardin dernier. A la maison Jeanne Garnier, le rôle du jardin se comprend à la fin. Et des plantes vertes sous les verrières. Et des fleurs sur les tables de chevet. A la première visite on avait interrompu l'explication de la jeune bénévole. De toutes façons les plantes vertes, Mademoiselle, elle ne les verra pas. Et le jardin pas davantage, hélas, elle si heureuse pourtant au jardin de sa vie.

A la maison Jeanne Garnier, la chanson du jardin ne s'entend qu'à la fin. Il parle le jardin. Il murmure. Il conseille en douceur. Aux familles perdues il offre traduction. Et reste là, soir et matin, à chantonner tout ira bien. Dernier jardin, tout ira bien, c'est son refrain.

C'est un métier, jardin dernier. Tout ira bien, c'est son refrain. A la maison Jeanne Garnier, les réponses sont cachées dans les arbres, les réponses que les enfants n'osent même pas s'avouer. Voulez-vous que je lui donne des tranquillisants? Croyez-vous que? Souhaitez-vous plutôt que? A la maison Jeanne Garnier, les questions sont codées, mais si on n'a pas le code, aucune importance, le jardin souffle les réponses. Ecoute mon ami. Ecoute dans le vent. Ecoute la réponse est dans le vent.

A la maison Jeanne Garnier il y a toujours du café. Et des jouets pour les enfants. Et de larges couloirs pour les grandes familles qui avancent de front. Et même une chambre de passage, pour que s'attardent les invités de Jeanne Garnier. Tout est prêt pour que s'arrête le temps, le temps qu'il faudra, le temps que coure le temps dans les lits sur jardin.

A la maison Jardin Dernier, le temps s'est arrêté jeudi à treize heures quinze. Tout ce qui est à dire je le dirai plus tard, quand sonnera le temps. A l'arrivée j'ai demandé le temps moyen de séjour. Traversant le jardin la jeune bénévole a dit c'est treize jours. Mais ce n'est qu'une moyenne. Certains séjours sont bien plus courts. C'est un métier, jardin dernier.

11 août 2006

A la conquête de mots plus simples, les 0 et les 1

Cher David,

J'ai vécu moi aussi dans un camp de louveteaux, quatre longues années, durant le collège. Intello, tout était dit. Peut-on être brillant dans une ZUP ? Intello. J'ai essayé de me déguiser, de me dénaturer, mais mes résultats me collaient à la peau. Alors, de rage, j'ai cogné, je me suis battu, j'ai fait mordre la poussière aux mécontents, mais ça m'a pris quatre ans, quatre longues années pour me faire respecter dans un monde qui n'était pas le mien. Un monde dont la langue se parle avec les poings. Pas d'autre solution. Les autres disaient, je vais appeler mon père, tu vas voir. Moi, je baissais la tête et serrais les poings. Qui était là pour me défendre ? Personne. Pas lui en tout cas. Juste là pour me rabaisser. Jamais un mot pour me dire qu'il était fier de moi, de mes résultats. Qui a deux maisons perd la raison. Je n'en avais qu'une. Malheureusement. Ou alors une et demi. Une demi où je n'avais pas ma place. Une demi où je me suis toujours senti mal à l'aise. Pas sûr de moi. Rabaissé. Mais tu ne sais pas te servir d'un marteau ? Quel maladroit ! Ah ça, qu'est-ce que tu es maladroit !

Maintenant, je sais. Me servir d'un marteau et que ce n'était pas de ma faute si je ne savais pas. Il rejetait sa culpabilité sur moi. Sa culpabilité de ne pas m'avoir appris les langues paternelles. Et ça a fonctionné. Mais ça ne fonctionne plus. Vous avez su pardonner, David. Moi, je crois que je ne saurais pas. Comme je suis dur. Tu ne dis jamais merci. Je t'offre un cadeau et tu ne me dis jamais merci. Avoir un fils pareil ! Tu pourrais me remercier. Désolé ça reste coincé dans ma gorge, là, mais comment t'expliquer ? Egocentrique, tellement égoïste qu'il ne peut me comprendre. Sa femme l'a quitté, mais il n'a pas compris. Et il traite ses petits enfants de la même manière. Mais je suis là. Rempart de paille pour les protéger. Et puis, pour eux, ce n'est qu'un grand-père après tout.

Alors, je suis moi aussi parti à la conquête des mots, en solitaire. Mais des mots plus simples. Des mots composés de 0 et de 1. Des mots sans équivoque. Plus faciles à dompter. Plus rationnels. Et j'ai réussi. Maintenant les gens viennent du monde entier pour voir comment je les ai dressés. C'est fou ce que l'on peut faire avec des 0 et des 1. Des mégas, des gigas et même des téras, David. Pourtant, j'entends une voix au fond de moi. Une voix qui se nourrit de mots et qui rêve d'écriture. Une voix qui veut parler avec ses propres mots et les aligner sur le papier. Bien rangés. Mais on ne peut maîtriser qu'une langue correctement, j'ai bien peur. Moi, c'est celle des 0 et des 1. Puis, j'ai décidé de me trouver un père. Enfin, je ne m'en rendais pas compte. J'étais un petit chien attendant un susucre. Je le suis toujours. Mais au moins je le sais. Comme vous cher David, je me suis acharné à copier. Les personnages historiques et les rencontres dûes aux hasards de la vie. Mais je n'ai rien trouvé. Ou alors ma soif est inextinguible. Ou alors je n'ai pas eu de chance. Alors je cherche toujours. Mais sans illusion. Un jour j'ai décidé de ne plus parler. Gros caprice, moi aussi. Seul avec mon monstre tiède, monstrueux comme jamais. Fermé à toute tentative d'ouverture. Vous allez payer par mon mutisme. Toutes vos fautes. Ca a duré. Des jours. Je ne sais plus combien. Ce sont les larmes de ma grand-mère qui ont réussies à ouvrir la porte. L'amour brut d'une mamie. Sans calcul, mis à nu. C'est lui, qui a vaincu le monstre tiède. Pour un temps...

Allez une dernière anecdocte, pour la route. Un jour, je suis devenu père moi aussi. Mon père avait fuit ma naissance, s'était embarqué sur les bateaux pour faire plusieurs fois le tour du monde. Moi, le plus beau jour de ma vie, je tenais la main de ma femme. Puis, je suis rentré chez nous. Tout seul. Et j'ai eu envie de partir. J'ai eu la peur de ma vie. Peur d'une petite fille de quelques kilos. La peur de ma vie. Je ne pensais plus qu'à une chose partir. Prendre les jambes à mon cou. La poudre d'escampette. Enfin, n'importe quoi pour ne plus être là. J'ai résisté et j'ai vaincu ma peur. Ca m'a mis la puce à l'oreille. Et si, et si, ça avait été la même chose pour lui ? Bon, je parle de moi, mais je vous ennuie peut-être, cher David. Ce sont les vacances. Vous êtes peut-être au bord d'une piscine ou sur une plage. Avant de se quitter, je voulais vous remercier. Vous avez su mettre des mots sur mes souffrances. Et j'ai ri aussi. Car j'ai dû tout inventer comme vous. Le support à vélo, comme le remplissage du coffre. Alors forcément je ressens une espèce de communion d'âme avec vous, mêlée à de l'envie pour votre talent, pour avoir su trouver les mots que j'aimerais écrire. Mais, je ne vous en veux pas, à chacun sa langue. Julien

31 juillet 2006

Un message d'été (long, mais il vaut la peine)

Bonjour David,
Je viens de terminer votre livre Les Langues paternelles. Je l’ai lu d’un trait. Je l’ai pris comme ça, splash ! en pleine figure. Je l’ai trouvé dur au début puis une fois fermé c’est fou comme il m’a fait du bien. Je m’y suis retrouvé. Je ne suis donc pas seul. Il en existe un autre ; donc des autres certainement. Des atrophiés, des handicapés de la vie de famille en quelque sorte. Car votre histoire, dans le fond, ressemble beaucoup à la mienne si je peux oser une comparaison. Et ce style d’écriture que j’aurai tant aimé faire mien. Je le reconnais ; je l’adopte. Je n’ai pas pu résister. J’ai sauté sur mon PC. Je vous écris pour me confier. Ce n’est pas une confession : je n’ai rien à me faire pardonner. Peut-être une communion entre personne parlant la même langue.

J’ai eu connaissance de ce bouquin par la chronique d’Alain Rémond dans Marianne. J’aime bien le non-conformisme de ce magasine même si je le trouve un peu léger parfois, pas assez intello – populiste en quelque sorte. Et puis inutile de préciser que « j’adore ce que vous faîte » en d’autre lieu, sous d’autre nom. Mais ce n’est pas le sujet.

Mon histoire ? Faut bien vous la raconter à vous. Vous, vous comprendrez. Alors voilà. Je vais vous la raconter vite fait et mal fait car je n’ai ni le temps ni votre talent. Bien fait, na : fallait pas laisser traîner votre adresse e-mail à la fin de votre bouquin ! Moi aussi je fais des caprices. Alors raconte ! Plus que banal, du genre qu’on ne peut pas qu’on ne veut plus raconter dans les dîners qu’ils soient familiaux, amicales ou professionnels. Qu’on garde pour soi. Qu’on s’invente. Jusqu’à sept ans, que du normal : une vie de fils aîné avec un frère et une sœur dans une famille de français moyen des années 70. Le père, chef d’agence d’une boîte d’import-export ; la mère, secrétaire de direction dans une tour à la Défense. De la famille paternelle dans le nord avec ces baptêmes, ces communions, ces mariages, ces ducasses et ces carnavals – et bras dessus, bras dessous, au nord, c’était les Corons etc… - ; la famille maternelle parisienne du genre Billancourt, Front Popu, les congés payés, la Résistance avec l’accent de Jean Gabin ou d’Arletty en prime comme dans les films à la télé. Et les vacances en Espagne avec la nouvelle R 12. Surprise, les enfants, la semaine prochaine on visite une maison avec un petit jardin et chacun sa chambre. Ouais ! Pour l’instant, une chouette de vie de famille pour un gamin de sept ans. Et puis un jour, comme ça, après l’Espagne et avant la maison avec le petit jardin et chacun sa chambre, la mère se tire, sans rien dire, sans une explication, sans une lettre, sans un coup de fil, sans une dispute, sans rien. Pas d’au revoir ni d’adieu. Ah, si avec le frangin et la frangine. Je laisse l’aîné et je garde les deux autres. Pour la pension certainement. J’en sais rien. Des histoires d’adultes tout ça, tu comprendras plus tard quand tu seras grand. Et pendant dix ans, rien. Pas de nouvelle, pas de lettre, pas de message. Rien. Pourtant elle n’était pas bien loin, la mère, juste à l’autre bout de la ville. A vivre une autre vie. Avec le frère et la sœur. Mais sans moi. Sans papa. Et moi sans maman. Allez comprendre. Evidemment, veto du père. Haro sur la mère ! Plus rien ne doit rappeler la vie d’avant. Allez, hop, tout à la poubelle. Des photos du mariage jusqu’aux castagnettes ramenées d’Espagne accrochées sur le mur comme un trophée. Etre enfant de divorcés en banlieue parisienne à la fin des années soixante-dix, ce n’était pas très grave. Un malheur qui n’arrive qu’aux autres. Les gens « normaux » compatissaient. Mais qu’il reste sur le palier. Qu’il n’entre pas dans la maison. On était toujours deux ou trois dans la classe et ce jusqu’au lycée. Mais enfant de disparue sans laisser d’adresse ni de nouvelle ! J’en ai pas connu beaucoup à part moi. Quel supplice de remplir les fiches de renseignements à chaque rentrée scolaire. Alors débuta une vie d’errance affective familiale. Pas de Noël. Jamais d’anniversaire. Le père se mit à rentrer de plus en plus tard du travail et de moins en moins droit. Jusqu’à la 5° ou 4° (je ne me souviens plus), je n’ai pas eu le droit de posséder les clés de l’appartement. On ne savait jamais. Alors j’attendais que le vieux daigne rentrer. 22h00, 23h00, minuit, minuit et quelque. Un jour – ou plutôt une nuit -, une voisine prit enfin pitié et m’invita chez elle. Je crois même qu’elle fit la leçon au père. Il ne se sont plus jamais parlés mais à compter de ce jour il vint me chercher sur mon paillasson vers 20h00. J’eus donc le droit d’allez au spectacle. Il cachait bien son jeu le paternel, le costard-cravate avec gourmette en or et chevalière au doigt ! car c’était également une arsouille, le vieux, passé 18h00. Mais pas du tout artiste, plutôt grande gueule, du genre ancien combattant. J’ai fait la guerre d’Algérie, moi. Les bicots, les bougnoules, les ratagas, les fellaghas. Et vas-y que je te raconte la bataille d’Alger dans les moindres détails, et les départs en opération et la gégène. Ah la gégène ! un plaisir la gégène : tu mets le mec à poil après l’avoir tabassé – il faut ce qu’il faut – tu mets un fil ici un autre là, tu tournes et hop. Patron, un autre, c’est ma tournée. Papa, j’ai faim ; papa, j’ai soif ; papa, j’ai sommeil ; papa, je veux rentrer. Tais-toi ! ah, ces mômes, cette nouvelle génération, ce qu’ils leur faut c’est une bonne guerre ! A grands coups de pieds dans le cul, je t’éduquerai tout ça. Mais pour donner des coups de pieds, il ne faut pas tituber. Alors ce sera régime claques avec chevalière. Subir. Jusqu’au jour ou le petit garçon aura dix ans de plus, qu’il te trouvera avachi au fond d’un bistrot crado, que la baffe non seulement il l’évitera mais tu verras son poing rageur s’arrêté à un centimètre de ta tête. On ne frappe pas un homme à terre. Surtout si c’est son père. Mais est-ce encore un homme ? La honte, l’humiliation, la frustration. Et la haine. Du père, de la mère, de la famille, des copains, de l’école, de la cité, des HLM. De tout. Ceux qui affirment que les cités sont formidables, ces politiques, ces artistes, ces journalistes, n’y ont jamais vécu. Ce n’est pas possible. Sinon ils sauraient que ces habitants ne pensent qu’à une chose : s’en aller vite et loin pour ne jamais y revenir. Pas de copains encore moins d’amis. La famille ne nous invite plus. Je me réfugierai dans Baudelaire et Aragon. Un jour, un jour viendra… Les vacances, c’est le patronage – surnommé le pazzo pour les connaisseurs – et la colo. Pas les Jolies colonies de vacances mais celles d’une municipalité rouge de la banlieue parisienne. Ou tout ressort triste, sale, laid. Même les monos. Même la mer. Même la montagne. Je rêve de vraies vacances. En famille. Les voisins ne nous parlent pas. On ne fréquente pas ces gens-là. Des poivrots. Des piliers de comptoir. Ca fini toujours par un scandale, alors. En plus tu réveilles toute la cage d’escaliers en rentrant à deux heures du matin. Et puis les réunions parents-professeurs. Un supplice. Déjà, tu arrives en retard. Et bourré, évidemment. Mais ces profs, tous des planqués, des fainéants, des gauchistes. Une bonne petite guerre, voilà ce qu’ils leur faut. Monsieur, votre fils est intelligent mais paraît très fatigué, il s’endort en classe et il ne parle à personne. Dommage car il a de bonnes notes. Il en aurait de meilleurs s’il travaillait un peu plus et regardait la télé un peu moins. L’année prochaine, au Lycée… Ah, si elle savait la prof. La télé, cela fait longtemps qu’elle ne fonctionne plus. Morte et enterrée, la télé. Et pas d’argent pour la remplacer. Le fric part en tournées. En opération en quelque sorte. Pourtant tu gagnes bien ta vie. Mais le bistrot a sa raison que le confort ignore. Grand seigneur ; grand saigneur surtout. Si elle avait demandé aux autres élèves, elle l’aurait su. Eux, ils ne me demandent jamais si j’ai vu le match de la veille au soir ou le film interdit aux moins de 16 ans. Ils savent que non. Et le cinéma encore moins. La Guerre des Etoiles je la verrai trente ans plus tard, dans mon salon, en DVD et avec mes fils. Non, le manque de sommeil ne vient pas de là mais d’un café de la Place Clichy ou de la Place Jean Grandel. Assis sur la banquette ou debout accoudé au comptoir. Jusqu’à la fermeture. En attendant, cette réunion de fin d’année au Collège finira mal. Une embrouille avec je ne sais plus qui. Qui n’avait certainement pas fait la guerre, lui. Et était à jeun. La Police doit intervenir : sortie sous escorte. Faut quand même le faire. Alors le lendemain, bonjour l’ambiance. Le ricanement des autres élèves, le regard mécontents des professeurs. Comme si j’étais responsable.

Après il restera encore le lycée à supporter. Plus de paillasson mais toujours la tournée des grand-ducs : les troquets d’Asnières, de Gennevilliers, de Clichy, de Saint-Denis, de Stains. Ton repère reste la Place Clichy. Près de mon Lycée, d’ailleurs. Il y a de ces hasards. Ah ! Le Lycée… c’est le début de la vie normalement. Presque une semi-autonomie. La prise de conscience politique – on est en 1981 -, les premiers flirts, les copines, les copains, les sorties. Les copains, je n’en ai jamais eu alors les copines encore moins. Je ne sais pas comment il faut procéder. Inviter ou attendre l’invitation ? Franchir le Rubicon ou se laisser approcher ? Finalement, cette période s’annonce aussi cauchemardesque. J’te raconte pas la dernière réunion parents-professeurs. Ridiculus aurait lancé Harry Potter. Du grand guignol. Rond comme une queue de pelle, défoncé comme un terrain manœuvre, saoul comme un polack. Pourtant il était Pastis moins cinq à ta montre ! Enfin, que veux-tu faire après le Lycée ? Et dans la vie ? Des études de Lettres ou de Droit, j’sais pas trop, M’dame. Pour être avocat, journaliste, écrivain ou quelque chose dans ce genre. Poète en tout cas. Quoi ? Lui ! Ce fainéant, ce bon à rien ? Monsieur, voyons… Dans les Enfants de Troupes, oui ! A crapahuter. Après, direction la mine. Comme les anciens. En attendant, il lui faut passer le certificat d’études. Mais Monsieur, voyons… De table en table, de prof en prof, de parent d’élève à parent d’élève jusqu’au Proviseur. Qui aura du mal à te convaincre que je suis en Terminale, que le certif’ n’existe plus depuis belle lurette. Qu’il est l’heure de fermer les portes du Lycée. Et puis, hop, un dernier verre, le passage piéton n’est pas pour toi. Tu te crois fort. Tu as fait la guerre, toi. Trop tard : une voiture n’a pu t’éviter et te voilà à la morgue de l’Hôpital de Colombes. Ben, merde. Seul. A dix-sept ans. Tu ne vas tout de même pas me laisser comme ça, au moment ou j’allais te faire un bras d’honneur et partir à l’aventure. Avec le bac. Tu me prives aussi de ce plaisir-la. N’empêche, y’en avait du monde le jour de ton enterrement : le monde des anciens combattants, le monde du travail, le monde de la nuit. Du monde. Même un juge ! On a retrouvé votre mère, me dit le juge des tutelles. Bonjour, Madame. Tiens, le bras d’honneur, c’est le moment de le faire justement. Tant pis pour le bac. C’est elle qui trinquera. Elle a aussi sa part de responsabilité dans l’affaire. Haïr ses parents, c’est grave.

Mais il me faut l’assumer, trouver une échappatoire. Ce sera l’Armée. Engagé volontaire. Les Paras. La Légion. Les hommes sans nom pour un sans famille, quoi de plus normal ? Des durs. Des vrais de vrais. Tu aurais été content. Fier même. Drôle de psychanalyse. Et la guerre, la vraie, moi je la ferai et sans torture. Mais je ne pourrai jamais te la narrer avec délectation. Pourtant je m’imagine ; dans un bistrot de préférence. Et je ferai à nouveau ces voyages. La lascivité peu farouche des polynésiennes, la moiteur malsaine de l’Amérique du sud, la chaleur intenable du désert africain, les restes de ce qui fut l’un des plus beaux pays méditerranéens, le nouveau déchirement fratricide de l’Europe centrale ; et cette guerre pour les nababs du pétrole : Tintin au pays de l’or noir ! Du camping. Presque des vacances. Au quatre coins du monde. Aux endroits les plus chauds, au propre comme au figuré : Tahiti, Guyane, Liban, Tchad, Golfe, ex-Yougoslavie. Des médailles à arborer. Des anecdotes à raconter devant un parterre incrédule tout acquis à ma cause. Prêt à applaudir. Et à m’offrir une tournée. Et à toi aussi évidemment. J’aurai enfin des copains et même plus car l’armée est une grande famille parait-il. Le kaki usant prématurément, j’en sortirai sans rien demandé. Même pas l’emploi réservé auquel j’avais droit. Je prendrai seulement connaissance de mes notes. Et là, surprise ! « doté d’une intelligence supérieure à la moyenne mais asocial ». Intelligent, merci pour l’ego. On m’en a déjà accusé. Mais asocial ! Rude coup porté par « ma famille ». Celle d’adoption. Celle que j’avais choisie. Celle que je croyais mienne et tienne. Tiens, prends un dernier coup. Pour la route.

Alors je vivoterai encore deux ans de petits boulots en petits boulots en rêvant. Un jour, un jour viendra… une femme, des enfants, une famille, une maison… et un jour, le Loto. La voisine d’en face vient taper à ma porte. Une histoire de fuite d’eau. C’est le déluge chez elle. Elle est seule. Elle est prof. M’en fou, démmerde-toi. Ces profs, tous des fainéants. Il leur faudrait une bonne guerre pour leur apprendre à se débrouiller seul. Mais elle insiste ; s’il vous plait. Bon, j’interviens et là débute l’histoire. Celle du jour qui viendra. Pas un coup de foudre mais une rencontre, un besoin ; un trésor caché. Une belle-famille avec maman à la maison, papa au jardin et le frère à la fac. A vingt huit ans, il était temps qu’elle trouve quelqu’un répète partout belle-maman. Me voilà intronisé gendre idéal. A condition de cacher mes tatouages : le legio patria nostra et le Go ! C’est plus présentable. Et réviser mon vocabulaire. Ne prononce plus le mot « bordel » devant maman, s’il te plait. C’est insupportable à la fin. J’irai donc à la Mairie, à l’Eglise, à la Maternité. Je connaîtrais aussi la dispute pour la liste d’invités au repas de noce : elle 100, moi zéro. Evidemment ça choque. Ma famille ? J’en ai pas. Du moins j’en ai plus. Je ne sais pas au juste. Les copains ? Idem. Un effort surhumain pour recoller les morceaux : la mère, le frangin, la frangine, un embryon de famille du nord et de Paris ; vous vous souvenez de moi ? avant on s’invitait à Noël, aux mariages, aux vacances. Bon, c’était il y a vingt ans certes mais il n’est jamais trop tard. Il le sera. Premières grimaces. Après le rêve continu : les cadeaux d’anniversaire, les repas de Noël avec véritable sapin S.V.P., pas un faux en plastique, mais celui qui sent bon, celui qui perd ses épines, celui qu’on replante dans le jardin, la maison avec jardin justement où les enfants auront chacun leur chambre, la cheminée pour les soirées d’hiver et la terrasse pour le barbecue l’été, les vacances à la montagne et à la mer - mais pas en Espagne ! -, les week-ends chez les beaux parents où je suis de toutes les activités : la belote, la chasse, la pêche, le jardin, les arbres fruitiers, le miel etc…un boulimique. Je bricole, je scie, je cloue, je colle. Je plante, je sème, je bine, j’arrose, je taille et même je greffe. Les biberons, les couches, les bains, la piscine, les courses, les devoirs, la classe de neige etc… Une vie de famille normale. Comme dans les livres. Ou plutôt comme à la télé car personne ne lit plus de nos jours. Comme dans un rêve. Mais sans un sourire. En automate. Avec des gestes empruntés, des taquineries qui deviendront par la suite des reproches. Du travail de parigot. De bidasse. D’homme sans famille.

Puis, un jour, à la mort du grand-père, je récupère quelques papiers, des photos et ton livret militaire. Et là, surprise ! tu as débarqué en Algérie en mars 1959. Deux ans après la bataille d’Alger, pour les non-initiés. Et ton unité ? Une vague compagnie de quartier général, à l’état-major ! Pas de piton ni de djebel ni de chasse aux fellaghas mais serveur au mess des officiers. Remarque tu étais superbe dans ton smoking avec nœud pape ! Tu n’as certainement jamais tiré un coup de feu ni même touché un fusil. Les seules opérations que tu aies faites étaient donc des additions ! Quant à la gégène… comme bon nombre « d’anciens combattants d’Algérie », tu as du en faire connaissance dans les livres. Menteur. Frustré. Mythomane. Minable. Mais le meilleur reste à venir. Car dans une famille normale des années 90, la mode s’orientait vers la généalogie. Moi qui suis passionné d’histoire, aller à la rencontre de mes ancêtres, pour mes enfants : une revanche sur cette vie de famille non eue en quelque sorte. A condition de ne pas s’attarder sur mes parents. Promis-juré me répond mon épouse. On passe de suite aux grands-parents. Bingo ! Mon grand-père, le titi parisien, le métallo de chez Renault, celui que je n’ai pas connu. Lui aussi était en Algérie mais plutôt de l’autre côté de la barrière avec un nom pareil : Ahmed Ben Quelque chose. Surprise ! On arrête me dit ma femme. Ah non surtout pas : pour moi cette ascendance devient fierté. Mon orgueil. Ah papa ! ah maman ! vous m’aviez aussi caché ça. Enfin quelque chose à quoi m’accrocher.

D’ailleurs je rêve, je dois rêver. J’ai la tête ailleurs. Car je commence à m’ennuyer. Je ne suis pas assez famille me dit-on. Tu pourrais participer au lieu de rester toujours dans ton coin à faire la gueule. Moi ? Mais je n’arrête pas d’essayer de m’intégrer. Je ne demande que ça ! Je ne comprends pas ce qu’on me réclame en plus. Je croyais être un stakhanoviste de la vie de famille et me voilà accuser de non productivité ! Désolé mais je ne possède pas la notice explicative du père de famille. Je n’ai jamais eu de modèle. Quant à la mère, j’en ai qu’un vague souvenir. Prendre des coups, marcher au pas, obéir aux ordres hurlés en deux coups de sifflets brefs, ça O.K. Je connais. Je sais faire. Pour le reste, expliquez-moi. Et tes copains ? Tu n’as jamais de copains ! Et puis tu pourrais montrer plus d’affection envers moi et les enfants. J’essaie. J’essaie mais je n’arrive pas. J’essaie mais je ne sais pas. On ne m’a jamais appris. Je n’ai jamais vu faire. Alors je me réfugie dans ma solitude. Bizarre d’être entouré, de pouvoir profiter de ce que l’on a toujours désiré et de ne pas pouvoir y accéder ; d’être seul, parmi cet entourage. J’ouvre un bouquin. Je reprends mes études : du bac jusqu’au diplôme d’ingénieur. La vie de famille, elle, est là, sur le côté, loin de moi ; trop loin. Pourtant je fais ça pour vous, ma chérie, pour votre avenir. Non, tu vis pour toi tout seul, en égoïste. Avec tes bouquins. Tu ferais mieux de travailler au jardin comme papa. C’est la saison. Mais je ne suis pas ton père ! j’ai déjà du mal à être père, à être moi tout simplement. Et puis un jour, c’est le drame. Les cris, la dispute qui fait fondation dans l’histoire d’une séparation. Je récite un texte de Baudelaire à mon aîné : « Mécontent de tous et mécontent de moi, je voudrais bien me racheter et m’enorgueillir dans le silence et la solitude de la nuit. Ames de ceux que j’ai aimés, âmes de ceux que j’ai chantés, fortifiez-moi, soutenez-moi, éloignez de moi le mensonge et les vapeurs corruptrices du monde ; et vous, Seigneur mon Dieu ! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise. » Pas de son âge me dit sa mère. Belle-maman acquiesce. Elles ont sûrement raison. Mais elles ne peuvent pas comprendre. C’est mon monde et pas le leur. J’ai fait un effort : je me suis intégré au leur. Eux jamais au mien. Il ne le connaisse pas. Ils l’ont seulement entr’aperçu un jour de préparation de noces. Le monde de ceux qui vivent en reclus même immergé dans un modèle de réussite familiale. Elle m’arrache le livre des mains, je la rattrape ; des paroles s’échappent, des non-dits, des insultes, des coups partent car un gâchis se prépare. Quinze ans d’un simili bonheur vont disparaître d’un coup d’un seul. Des mots en apparence très durs sont prononcés entre nous, sur nos familles. J’estime avoir seul le droit de détester la mienne. Il y a rupture. Définitive. Je sais que notre histoire va s’arrêter là. La vie conjugale – pour ne pas la qualifiée de commune – va continuer encore un peu, le temps de s’illusionner. Jusqu’au coup de foudre. Celui que l’on éprouve à 20 ans je suppose ; qui renverse tout sur son passage ; où plus rien ne compte ; plus rien n’existe ; plus rien. Pas une coucherie pour le fun. Une relation épistolaire de six mois avant l’horizontale ; par télécopie ; par SMS ; par Internet. Nous sommes au XXI° siècle ! Son histoire se rapproche de la mienne. Parents divorcés avec mère absente et père qui semble infréquentable. Elle aime écouter Monteverdi et se passionne pour le Moyen-Age. Elle cherche en vain une vie de famille stable avec enfants, maison et vacances. Je connais cette envie. Et me voici à quarante ans, après avoir obtenu et abandonné ce que je désirai le plus, dans un studio du centre ville, à recevoir mes deux garçons un week-end sur deux ; j’ai essayé de leur expliqué pourquoi. Mon passé, l’avenir que j’envisageais plus ou moins maintenant. Je les aime toujours aussi fort sinon plus. Ce n’est pas un abandon, seulement un nouveau départ. Je me justifie. Je veux enfin être moi-même. Ne plus jouer au soldat, au père de famille tranquille ; ne plus faire semblant. Et vient cette naissance, ce bébé, cette fille ; alors je change : de look, de boulot, de région, de famille. De comportement. Je veux devenir enfin ce père de famille. Attentif et généreux. Sévère quand il le faudra. J’espère jamais. Je déménage pour le sud de la France où je me résous à être en vacances 10 mois sur 12. J’assume de nouvelles responsabilités. J’écris à toutes mes relations pour leur annoncer ces changements. Bouteilles vides jetées à la mer. Sans arrière pensée, je prends contact avec ma nouvelle belle-famille. Ma nouvelle belle-mère ? Pas si lointaine. Même très proche de sa fille. Peut-être trop. On verra. Et ce nouveau beau-père ? Pas si infréquentable que ça. Sympa même. Des tas d’infinités avec moi.

Serait-ce enfin le réel et paisible bonheur familial ? Je ne sais pas. Il me reste toujours dans la bouche un goût d’amertume. Une déchirure, une blessure qui ne guérira pas. Comme une question sans réponse. Vie ratée, vie réussie ? Vie quelconque ? Règlement de compte à O.K. Famille. Papa, j’aurai tant voulu te dire. Ah, si tu étais encore là. Je te dirais que tu me manques. Que je t’aime. Que je pense avoir compris ta souffrance. Ta vie de père de famille ratée. Et toi maman, j’aurai tant voulu te dire également. Que je ne t’en veux plus. Ah, si tu voulais venir ici. Je t’embrasserais. Je te parlerais sans fin. Et j’en aurais des choses à te raconter. Avant, j’avais une vraie maison, sais-tu. Un potager, des arbres, des ruches. J’avais une vie de famille. Mais quelle famille ? Je te raconterais également mes nuits à pleurer, à t’appeler, à supplier que tu reviennes. Pour moi, pour papa. Où est mon frère, où est ma sœur ? oui je te raconterais mes devoirs, mes 20/20 et mes zéros pointés incompréhensibles pour les profs, mes coups de cœur, ma passion pour Aragon dès l’âge de 12 ans après avoir lu les Yeux d’Elsa ; je te raconterais la Légion, c’est moins drôle ça. Bien que. Et puis mes enfants. Les trois. Mes femmes. Les deux. Et mon boulot. Le dernier. J’ai des relations maintenant. Je suis respecté. Du moins je le crois. Je te raconterais mes doutes. Mes certitudes. Mes envies. Oui je te raconterais tout ça. Et je t’avouerais que je t’aime. Que j’ai compris ton absence. Ton absence de vie de famille.
Famille, je vous hais. Famille, je vous aime. Comment vit-on une vie de famille ? La réponse, je pense la connaître maintenant, David, et ce grâce à votre livre : il n’y a pas de vie de famille. Il y a la vie tout court. Tout simplement.

Merci d’avoir trouvé les mots pour l’écrire et le publier. Merci de m’avoir lu jusqu’au bout.

Merci, David.

25 juin 2006

A la noce

Mais oui j'étais à la noce maman. Il faut dire que j'étais père putatif. Ca donne un statut, et quelques obligations. Un peu mieux que parrain quelque chose d'unique du sur-mesure c'est elle qui a inventé ça. On était deux pères putatifs. Son patron et son éditeur deux papas rien que pour elle. Pas peu fiers les papas d'avoir été choisis même si ça donne un sérieux coup de vieux. Un jour ou l'autre il faut bien faire le saut. Les papas qu'on choisit ce sont les plus fébriles. Et une mère putative. Elle l'avait décidé ainsi. Tu fais quoi samedi soir? Je m'en vais au mariage de ma fille putative maman. Elle l'a décidé sans rien dire à personne en tout cas aux intéressés elle est ainsi et c'est ainsi qu'on l'aime. Les enfants rien à dire on les prend comme ils sont. C'est quelques jours avant que j'ai appris. Il parait que tu es père putatif? Voilà. Exactement. Et pas peu fier.

Les mariages j'ai l'habitude mais pour la première fois je mariais ma fille. Un sérieux coup de vieux. Quelques années d'avance. Pas grave j'ai toujours aimé être en avance. Et puis ça donne un avant-goût. A quoi s'attendre. Putativement émouvant il faut bien dire. La mariée était en rouge le marié en damier. Et quand l'adjointe a lu les articles du code une larme a perlé. Se doivent secours et assistance pas pu faire autrement. Il ne faut pas imaginer qu'un papa soit forcément immunisé. Ca peut avoir sous le costume quelques légères cicatrices un papa putatif. Ne pas gratter ça saigne encore parfois. La mariée était en rouge avec ses deux paquets de blondes et sa trousse à chichon. Le marié a bien de la chance il a un vrai papa secrétaire de section qui laisse parler tout le monde même celles qui n'aiment pas Ségolène. On est tombés d'accord des papas raisonnables. Et puis la noce s'est transportée dans un jardin du Val de Marne. Comme un Renoir maman, plein de martiens dedans. J'en ai pris deux dans ma voiture je savais bien qu'ils noteraient la clime. La clime dans la voiture c'est un truc de papa. Un truc d'ennemi de classe. Un pays étranger. D'un papa comme les autres ou presque après quelques errances. Evidemment vous Msieur avec la clime. Mais oui les enfants. Et la sécurité enfants à l'arrière si vous voulez savoir. Pas comme moi Msieur avec mon tas de boue. Mais oui les enfants. Mais oui vous y viendrez. Les petits martiens se sont disséminés sous les tonnelles. Comme toutes les noces peut-être un beau Renoir avec des rouges et des noirs mais un Renoir. Les petits ont commencé cul c'était une table de djeunz mais assagis très vite. Très vite on a viré sur Jean Moulin et Marine Le Pen et le piano qui sauve dans les camps. Et moi sous la torture est-ce que j'aurais parlé? Des sujets de mariage enfin maman. Divisées par la clime les générations se sont retrouvées sur Primo Levi. C'est beau une famille le soir sous la tonnelle. Deux papas à la même table il faut croire que ça calme les ardeurs. Ce concentré de pères. Ca devait fumer sec sous la tonnelle. Ca fait longtemps maman que je n'avais pas eu à refuser un joint. Ils ont été très tolérants pas de sarcasmes il faut croire que père putatif ça donne des droits. Mais non voyons papa ne fume pas les enfants. Vous avez arrêté? Pire, jamais essayé vraiment. Mais si voyons les enfants ça existe. Ne pas moquer papa vous serez bien gentils. Les deux pères putatifs ont conquis la tonnelle ils se sont découverts comme dans les vrais mariages. L'autre est bien sympathique elle a bon goût. Des gouffres évidemment ce qu'il faut de questions sans réponse quelques abîmes du côté de Copenhague mais si légers sous la tonnelle. Et puis les silences ont du bon. Pour le secret des Langues paternelles par exemple. Il le savait l'autre papa. Et n'a rien dit même à madame. Etre père c'est savoir conserver les secrets de famille. Pire encore, aimer ça. Le livre je l'ai raconté à ma voisine une pianiste assez émouvante qui aurait survécu dans les camps et a posé les bonnes questions. Assez en avance pour son âge la petite. Ce que ça grandit vite tout de même. Après ça Msieur vous pensez que je le comprendrai mieux mon chéri? Bien entendu petite. Comme si tu l'avais fait. Alors je vais lire Msieur. Après je ne m'en souviens plus le champagne coulait j'ai dû dire des bêtises raisonnablement comme un père putatif au mariage de sa fille. Et qui n'est pas peu fier. Ce qui est pire encore.

22 juin 2006

Avoir sû parler de ce qui court sous ma peau

Des mots stupéfiants d'Antoine, sur le blog de Tetanos, pour évoquer Les langues paternelles. Dans le balancement permanent de votre texte, dans cette cadence enragée, Antoine, je retrouve l'écho de mes phrases à moi. L'expérience décidément est sans fin, de ces mots qui répondent à d'autres, et les prolongent.

20 juin 2006

Les grands oiseaux du soir

Elles volent en escadrille parfois les nouvelles. Rien à faire se poser regarder. On regarde passer les grands oiseaux du soir, allègres et tragiques, leurs arabesques. David c'est dans Marianne. Une page entière. Votre ami Alain Rémond. Rappelez-moi. Oui mais. Pas le temps maintenant. Un rendez-vous avec le directeur. Bacs pros et bacs technos la différence. Juin c'est la saison. Posément expliqué. Très bien ce directeur. Bac pro c'est plus professionnel. Les tracteurs les tondeuses on part sur les chantiers. Bac techno plus abstrait plus scolaire. D'accord pour vous prendre dans les deux, mais. Un coup de collier cet été. T'as compris un coup de collier. Les yeux au ciel? J'y crois pas la dernière chance tu comprends ça? Et toi tu préfères quoi? Oui toi? C'est ton choix à toi. A toi. Plus le nôtre tu comprends? Bac pro c'est davantage mon truc. Pâmoison dans le bureau. Une de plus. Les internats de grande banlieue on va finir par les connaître tous. Avec les portraits de saints dans le bureau du directeur. Une scène dans la voiture bien entendu. Conduis on va pas en plus se payer l'accident. Les plate-bandes il faut bien des gens pour les planter. Bon. On en reparle. Marianne s'il vous plait. Une page entière. A peine tu ouvres le journal dernière page tu sais que tu vas être assommé. Alain. Tout y est. Enfin. Pas un mot de trop comme d'habitude. Léché comme d'habitude. Alain son père à lui. D'une douleur l'autre on se comprend. Neuf enfants la Bretagne. Pas la même écriture. On en parlé tous les deux. Pesé chaque mot Alain. Pas laissé déborder. Chacun son truc d'une douleur l'autre. Toute cette collection d'histoires lourdes. Alain sous son nom, lui. Un autre choix. Moi je pouvais pas. Vous en avez de la chance d'avoir des amis comme ça David. Je sais. Une très grande chance. Ca s'entretient comme un jardin. Toute une vie. On ne recommence pas. Replay y a pas. Et tout d'un coup. Papa c'est moi. Ah oui c'est aujourd'hui j'avais presque oublié. Alors? Papa. Papa sous-admissible. A Normalsupe. Voilà c'est tout sous-admissible. Les mots comme du miel. Mon chéri. Mon amour. Comme tu es fort. Arrête papa scolaire c'est tout. Mais non. Même pas. Car tout le reste aussi. Tu sais bien. Rien à dire. Seulement savourer le temps. Les jolis mois de juin. Cette diagonale implacable et douce qui s'inverse doucement au fil des ans. De l'adret à l'ubac la jolie diagonale. Ce bonheur-là les jours les plus longs de l'année. Finir l'article tout de même. Il raconte tout Alain. Directement à la jugulaire, comme d'habitude. Le livre jeté dans la pile. Et puis l'écho du Monde. Et là. J'étais comme pétrifié. Un choc comme l'Attrape-coeurs ou La vie devant soi. Salinger et Ajar. Tant qu'à faire ça me va davantage que Roth ou Kafka. Plus près de moi. L'attrape-coeurs un choc moi aussi. Une sorte de découragement. Bon alors plus la peine. Je n'arriverai jamais à ça. Ca. Cette sincérité-là. Ce torrent-là. OK petit David. Retourne jouer dans la cour avec les scribouillards. Et aujourd'hui voilà. Salinger, c'est écrit. Comme ils sont longs les soirs de juin. Reste à conclure. On a décidé de se revoir pour l'apéro. Alors tu as réfléchi? Bon ben ce sera bac techno. Puisque vous insistez. Tu as compris pourquoi? Tu sais toi-même pourquoi? Ces phrases qui sortent. Tremblant à peine. Fiévreuses à peine. Contenues tout de même. On ne va pas céder à l'éblouissement. Beaucoup plus calme n'est ce pas. Rien à voir. Hé l'écrivain t'es dans la vie la vraie, cette fois. Essaie de pas confondre. Ta dernière chance de sortir avec un diplôme du système éducatif. Je ne te porterai pas toute ma vie. Très calme très paternel. Les monstres tièdes sont dans le livre, cadenassés, la jolie ruse. Système éducatif. Ton choix à toi. Tes propres ailes un jour. Tes propres ailes comme les grands oiseaux des soirs de juin. Les plus longs de l'année.

PS: grâce à Patrice, providentiel comme toujours, l'article d'Alain Rémond est ici

13 juin 2006

Si vous ne mettez pas votre peau sur la table, vous n'avez rien

Ce n'est pas de moi, ce n'est pas une chanson à n'y rien comprendre, c'est de Celine, grand auteur lui aussi, il est vrai, de chansons à n'y rien comprendre.

C'est Tetanos qui cite Céline, à propos des Langues paternelles.

David Serge dépasse les enjeux purement littéraires, ou plutôt, les rend nécessaires, utiles. Si vous ne mettez pas votre peau sur la table, vous n’avez rien. Il faut payer ! disait Céline, dans ses entretiens à Louis Pauwels et André Brissaud en 1959, Céline qui en dépit de ses accointances puantes, n’en demeure pas moins un des plus grands stylistes de la littérature française : David Serge paye, il nous offre des pages stylisées, investies, sincères, mais surtout, il nous livre un texte qui parie sur le registre émotionnel autant que littéraire, sans tomber dans la caricature ou la mièvrerie.

La critique entière est ici.

10 juin 2006

Mes chansons à n'y rien comprendre

Vous n'y comprenez rien parfois à mes chansons d'ici. Je le sais bien. Rien de rien. Ah vous surfez tranquilles parfois vous arrivez de chez Daniel là-haut. Et patatras. Qu'est ce qu'il nous chante celui-là?

Ces chansons-là que je vous chante ici sont à n'y rien comprendre. Ce sont celles-là je n'y peux rien que je pourrais poursuivre jusqu'au bout de la terre.

Ces chansons-là qui me poursuivent que je poursuis ces chansons-là sont celles que je n'ai pas comprises et qui ne sont jamais passées. Les seules chansons qui vaillent, celles qui se gravent dans la tête des petits et qui y restent s'y incrustent, sont celles qu'on ne comprend pas. Avec leurs hautes paroles massives, de vraies armoires normandes. Ce sont celles-là que j'aimerais écrire un jour. Des chansons qui sortent de nulle part et ne vont nulle part et ne demandent rien d'autre que d'être des chansons. J'ai vu passer le train. De bon matin. Pourquoi de bon matin? Tu t'étais levé tôt ce matin? Une insomnie peut-être. Papa c'était un lapin. Qui s'appelait JB Chopin. Pourquoi JB Chopin? Dis-nous donc, Aristide. Allez accouche Bruant. Raconte.

C'est toujours sans le savoir sans le vouloir qu'on brouille les pistes. Pour des raisons idiotes parfois, pour la rime ou le nombre de pieds, ou un pari stupide. C'est quand les mots sont convoqués pour des raisons idiotes avec une flûte de mirliton, c'est bien à ce moment qu'ils crachent tout leur jus, et deviennent vraiment intéressants. Mais le petit jules était de la tierce. Qui soutient la gerce. Tiens par exemple. Devant la cheminée. Imaginez la scène. Petit David tout petit devant ces personnages. Le petit jules était de la tierce. Voyant qu'a marchait pas au pantre. D'un coup de surin lui troua le ventre. Ca rigole pas rue Saint Vincent sur la rive droite. Ca rigole pas le pantre. Alors que finalement si c'était seulement pour la rime avec ventre? Ce sont ces mots qui restent, pourquoi ceux-là? Ou bien encore tenez finalement finalement, deux adverbes jumeaux hauts comme des falaises qui me reviennent cette semaine. Finalement finalement. Pour être vieux sans êtres adultes. Pourquoi ces mots-là et pas d'autres? Années soixante je l'entends à la radio de vava sur la cheminée cette chanson finalement finalement. Avec ces deux adverbes plus hauts que toutes les flêches de toutes les cathédrales. Ces mots qui pour toujours indiquent quelque chose qui ressemble tellement à une direction.

Et si vous me disiez les vôtres? Vos chansons à n'y rien comprendre et qui pourtant ne sont jamais passées.

07 juin 2006

Le chanteur rebondissant

Une balle rebondissante. Puisqu'il faut bien raconter le concert évidemment. Une balle rebondissante, c'est elle qui me revient.

Tu te souviens papa dans le jardin? Tu te souviens la blaqueboule? Tu te souviens des engueulades? Un jour sont arrivées au magasin de jouets les balles rebondissantes. Des grosses boules noires très dures très noires. Totalement teigneuses. Sans concession aucune. Qui bondissaient partout. Qui montaient jusqu'au ciel. C'est une balle rebondissante ce chanteur petit papa. Touche pas à ma blaqueboule laisse la griffer le ciel. T'as pas vu ma blaqueboule? Ah zut encore en perdition sur la terrasse du cinquième. Cette fois c'est pas moi qui vais la rechercher. T'y vas toi-même ça t'apprendra tu dis pardon madame mais je crois que.

Il rebondit partout ce chanteur-là. A peine entré sur scène il est déjà parti griffer le toit du chapiteau. Pendant deux heures quelle santé. Faudra rembourrer le toit la prochaine fois. Ou jouer en plein air. C'est physique la chanson. Comme l'écriture on dirait pas. Mais arrêtez-le donc c'est pas les championnats d'athlétisme quand même. On ne sait d'où il vient où il va rebondir. Une balle rebondissante pendant deux heures. L'univers il l'explore il cherche ses limites. Mais qui a donc rangé les limites de l'univers? Ah oui dans le buffet de la cuisine avec la yaourtière. Il aime bien les maisons c'est sûr ce chanteur-là et les jardins et les cuisines et les petits mots aimantés sur les frigos. Et les bébés. Toute la vie calme des terriens. Pense à prendre le lait. N'oublie pas le pédiâtre. A ce soir. Qui chantera les petits coeurs sur les frigos? Tous ces instants tous ces regards ces chuchotements qui savent la calmer la blaqueboule. Il l'a trop descendue petit cette rue Oberkampf. Ca rebondit de la cuisine aux intergalaxies. Tu aurais aimé c'est sûr. Tu m'en aurais parlé. Tu sais pas qui j'ai rencontré David? Le chanteur qui. Le chanteur rebondissant. Il y a du Bécaud, du Trénet, du Montand. Du Brel, une larme pas davantage, au coin d'une fanfare. Tous les pièges mortels du quotidien pour l'instant c'est par le rire qu'il les désarme. Mais où tu vas rebondir comme ça? Il ne sait pas encore il n'en est qu'au début. Assez allègre dans l'ensemble. La douleur dans l'ensemble est assez peu présente, une larme pas davantage. On les guette les écorchures. Bien cachées pour l'instant. Trentenaire c'est sympa plein de jolies couleurs. Des souvenirs d'enfance juste ce qu'il faut. Des VIP à la marelle. Des petites filles qui pleurent, une larme pas davantage.

Et puis.

Et puis il y a la porte. Un peu fermée encore, ou à peine entrouverte. La porte des mots magiques qu'il ouvrira un jour. Entrouverte déjà. Des aperçus bien entendus, mais timides encore. Ma sardine ma sardaigne. Mon sagouin mon trois fois rien. Ma petite fouine ma petite teigne. Il est devant la porte le chanteur. Merci qui? Merci mon chien. Il hésite à ouvrir elle est lourde la porte de ces langues-là qu'il faut bien retrouver un jour puisque les portes elles seules savent les ouvrir. Et une fois qu'on l'a passée salut les potes c'est l'aventure, c'est l'armée de l'air. Mais aucune importance. Il ouvrira un jour et blaqueboulera tout.

05 juin 2006

Ce chanteur, quelle histoire

Petite il nous invite. A l'entendre chanter. Mardi soir si on veut. Mais qui donc papa? Pas lui, pas le chanteur? Mais si en personne. Ce chanteur que tu aimes, que tu voulais entendre. Il nous invite. Toute une histoire. Voici longtemps il a connu papi. Oui ton grand père. Comme on se retrouve. Il n'était pas chanteur. Il n'était pas connu. Et ton grand père le roi du monde il l'a croisé tout simplement. Sur les hauteurs là-haut, métro Ménilmontant. Quand on l'avait croisé une fois on ne l'oubliait pas. Un jour le livre est sorti. Sur un plateau télé il en entend parler. Et à la fin seulement il a dit je connais. Je sais qui c'est. Il m'a tenu le bras très ému David, m'a dit je sais qui c'est. Il les avait entendus, les mots de Belleville, les mots de l'admiration. Mon fils. Celui qui. Ecrit dans les journaux. Et parle à la télé. Tous ces mots des langues paternelles avaient fait leur chemin dans la tête du chanteur. Et y étaient restés au chaud, préservés toutes ces années. Il faut croire que c'est longue conservation.

On me l'a racontée l'émission. L'émotion du chanteur. Vraie ou fausse peu importe. Tu aurais bien aimé l'histoire, petit papa.

Toute une histoire ce chanteur. Alors je lui écris. En bafouillant un peu. Une vieille timidité avec les chanteurs. Je ne sais pas pourquoi. Ceux qui savent les mettre en voix les mots. Cette magie-là. Moi qui chante comme une casserole. Dans le livre tu verras je fais chanteur un peu, quand tu liras, un jour. Ou auteur, en tout cas, de chansons sans pardon. Quand tu liras. Donc une bafouille très bafouillante. Un vieux truc avec les chanteurs. Trop présents peut-être dans les langues paternelles, ils m'impressionnent je n'y peux rien je perds tous mes moyens. Bobino l'Olympia pour moi c'est carrément l'Olympe. Alors vous qui alors moi je. Très bafouillante. Et ma fille qui. Quoi? Tu as parlé de moi, papa? Evidemment c'est dans le livre. C'est ainsi. Nous retrouvons ici petite de très lointaines traces. De très lointains réflexes. Nous nous trouvons en face petite d'une faille spatio-temporelle. D'une spirale sans issue. Quoi tu lui as parlé de moi? Et on va aller dans sa loge après le concert. Dans sa loge? Eh ma foi. Dans sa loge pourquoi pas. Comme avec Guitry, la scène de la loge? On n'en sort pas décidément. Tu vas refaire Guitry papa? Maintenant que je vous ai vu, je voudrais mourir. Elles sont donc si bien incrustées en toi les langues paternelles? En tout cas il m'a répondu. A peu près dans les dix minutes, si tu veux savoir. Il était fier de vous, ça oui. La phrase mille fois entendue. Qui me poursuit encore. Il était fier de vous. Dans les dix minutes, si tu veux savoir. Ils se mèlent les mots, ils sautent et se mélangent, comme jamais.

04 juin 2006

Il faut que je vous dise...

...que tout s'effondre depuis les Langues paternelles. Bon, d'un côté, la femme qui se révèle, jour après jour, de l'autre, l'enfant qui se rebelle. Mais ça doit être lié, finalement.

Je craignais de voir mes parents, après les Langues paternelles. J'avais failli l'offrir à mon papa, et je m'étais ravisée, parce qu'il est juif, et pratiquant, et que je sais que vos propos sur le judaïsme lui brouilleraient la vue, c'est un peu dommage, mais c'est ainsi.
Il ne comprendrait pas ce que j'aimerais qu'il lise, que, quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, la transmission se fait. La transmission, c'est tellement important pour un juif religieux. Et pour lui, même s'il ne le formule pas comme ça, je suis un peu une mécréante.

Il ne comprend pas, pas plus que ma mère, que je suis un peu d'eux, et que j'en suis heureuse.

Je savais, donc, que ça allait être compliqué. Sans trop pouvoir expliquer pourquoi. Ce fut pire que ça. Je passais donc le week end chez mes parents, Chabat oblige. Arrivée le vendredi soir, départ le dimanche juste après ASI (que je ne capte pas chez moi). Mais là, tout s'est accéléré. Pourtant, ça n'est pas venu de moi. Je ne leur ai rien dit de leurs langues à eux, de leurs mots violents. Mais c'est vrai qu'un rien m'a énervée, mise hors de moi. Encore trop de comptes à régler et pas envie de le faire. A quoi ça sert ?

Et puis, LE sujet qu'il ne faut pas aborder. "Il faut que tu te maries avec un juif". Vous savez, j'ai été élevée dans une foi très pure, ensuite, j'ai fait le tri, je n'ai pas tout jeté, ça m'a amusée, votre description de ce que c'est d'être juif, surtout quand vous répondiez sur votre blog à une femme de la WISO, quand vous dites, en somme, qu'être juif, c'est tout faire juif.

Bref, bref, je leur explique que ce n'est pas forcément une priorité pour moi, et là, mon père a eu ces paroles "tu t'en fiches de notre souffrance, alors ? tu ne pourrais pas être un peu plus gentille avec nous, et faire attention à nous ?".

Et alors là, ce qui m'aurait juste énervée d'habitude - parce que nous avons déjà eu ce débat mille fois - m'a mise hors de moi cette fois ci, j'ai crié, hurlé, pleuré, claqué la porte, parce que j'entendais votre mère vous dire d'être gentil avec votre père, j'entendais les cris de votre père, et je ne voulais pas de cela. Je préfère abandonner plutôt qu'être abandonnée, partir plutôt qu'être délaissée.

Alors, je suis partie.

Tout s'effondre. Ou peut-être se construit.

M-P

03 juin 2006

LCI et les "petits miracles de l'édition"

Avec un peu de retard, Patrice m'envoie une critique des Langues paternelles, diffusée sur LCI le 8 février dernier. Ca fait toujours plaisir.

01 juin 2006

Chercher la jugulaire

Comment vous les reconnaissez, les mots qui brûlent? me demande Marie-Paule. Mais si vous savez bien Marie-Paule, celle qui nous parle du Daniel de Potok, juste en dessous.

Comment on les reconnait, les mots qui brûlent?

C'est simple Marie-Paule. Le mot me vient tout seul. On cherche la jugulaire. Et on frappe à la jugulaire. Là où ça coupe le souffle. Là où on ne se relève pas. On ne s'embarrasse pas de règles. On n'a pas de prudence. On frappe à la jugulaire. Ce qui se passera ensuite on s'en fout. Il sera bien temps, ensuite, de finasser, de réparer. Mais on cherche la jugulaire. Ce n'est pas si difficile, une fois qu'on a pris le pli. A condition d'avoir le souffle.

Ce n'est pas de moi, la jugulaire. C'est de Joyce Carol Oates. Découverte récemment, et lue il y a quelques jours. J'aurais dû la découvrir plus tôt. Je vais refaire mon retard. Mais en y revenant, c'est ainsi qu'elles se sont écrites, Les langues paternelles. A la recherche de la jugulaire.

30 mai 2006

Le Daniel de Potok

Monsieur Serge,

S'il y a bien une langue que je suis certaine de ne jamais apprivoiser, c'est bien la langue, les langues paternelles.

Je viens de finir votre livre. Il était évident que j'allais vous écrire.

Je ne serai jamais père, ni fils. Trop femme pour cela.

Pourtant, ce rapport père/fils me fascine, me trouble, m'émeut au plus haut point. Peut-être parce que mes deux frères. Peut-être parce qu'en primaire, la maîtresse avait lu ma rédaction où je décrivais le père parfait que je rêvais d'être.

En plein milieu de votre livre, j'ai vu Crazy, au cinéma. Un film sur la paternité, aussi. J'ai pleuré pendant la moitié du film. Je suis de celles qui pleurent, pas devant mon petit papa à moi, non. Mais les larmes, oui. Les larmes devant Big FIsh, aussi. J'ai aimé quand Paul Auster a parlé de son père dans l'invention de la solitude. En lisant "L'élu" de Chaim Potok, aussi. Il y a un très beau passage sur cette relation paternelle, et filiale.

Je n'ai qu'une maison, je suis une femme, pas d'enfants, et pourtant, pourtant les mots me manquent pour vous dire que votre livre fut un joyau pour moi. Je l'ai posé dans un coin, je sais que je le lirai à la mort de mon père, cette mort que je pleure déjà tellement, en avance.

J'aurais peut-être aimé ne pas savoir qui vous étiez, mais peu importe, après tout. Parfois, votre visage me venait, et alors, c'était étrange, c'était la femme en moi qui réagissais, qui avais envie de vous aimer en entier, comme une maman. D'apprivoiser vos monstres - nous en avons tous.

C'est drôle que je vous écrive cela.

Et puis, parfois, j'oubliais Daniel, je ne voyais plus que David, l'enfant-père, le père-enfant. Et alors, encore, j'avais envie d'apprivoiser vos monstres, mais pas de la même façon. Quand j'étais jeune, j'avais peur des loups ; ma mère me dit que les pommes de terre faisaient fuir les loups ; une pomme de terre sur la table de nuit, je dormais paisiblement.
J'aurais voulu qu'il existât un remède miracle contre votre monstre tiède. J'aurais voulu vous l'offrir. Mais de cadeau, je n'en ai qu'un. Je parlais de l'élu, de Haim Potok. Il fut un temps, j'avais un blog, j'avais retranscrit un passage qui m'avait bouleversée. (un des rares livres qui m'aient fait pleurer, avec le vôtre - d'ailleurs, je dois vous dire que j'ai pleuré en public à cause de vous, à cause de l'hommage rendu à vos enfants dans les dernières pages, à cause de Stan, LIque et Pierre, dans un bus, et j'ai montré votre livre, pas de mot pour expliquer ces sanglots, juste la couverture de votre livre).
J'ignore si vous l'avez lu, mais comme vous parlez d'élu, à la fin, vous aussi, je voulais vous l'offrir ; je n'avais pas remarqué le prénom de l'enfant. Voilà pour vous, pour vous remercier. Il y a des coupes, mais je n'avais pas eu le courage de tout recopier.
Ou comment le silence est amour paternel.

L'élu, c'est donc l'histoire de deux amis, Reuven et Danny, dans la deuxième moitié des années 40. Deux lycéens juifs orthodoxes de Brooklyn qui deviennent amis.Reuven vit avec son père, prof de judaïsme qui, bien qu'orthodoxe, est relativement ouvert au savoir moderne et à la modernité en général.Danny est le fils d'un grand rabbin à tendance hassidique. Son père apparaît comme un véritable tyran (il ne parle à son fils qu'à propos du Talmud, lui interdit pendant 2 ans de parler à Reuven quand il apprend que le père de ce dernier est un fervent sioniste) Reuven veut devenir rabbin et se passionne pour les maths et la logique, Danny se passionne pour Freud et ne veut pas supporter le poids de la dynastie familiale au terme de laquelle il doit devenir rabbin.

Bon, le livre est très riche, mais il comporte un mystère : pourquoi le père de Danny ne lui parle-t-il pas ? Pourquoi ne discutent-ils que de Talmud ?Reuven porte cette interrogation tout au long du livre. Un jour, Danny lui explique qu'il faut savoir "écouter le silence". Mais il ne sait toujours pas pourquoi ce mutisme de son père.Comme ce dernier ne peut parler directement à son fils, il invite un jour Reuven à venir chez lui, pour indirectement parler à son fils en lui adressant la parole (à Reuven) :"Reuven, le Maître de l'Univers m'a envoyé la bénédiction d'un fils plein de talent. Et il m'a chargé de tous les problèmes que soulevait son éducation. Ah, qu'est-ce donc que d'avoir un fils plein de talent ! Pas un fils beau, Reuven, mais un fils plein de talent, un Daniel, un garçon avec un esprit comme un joyau, comme une perle, comme un soleil. Reuven, quand Daniel avait quatre ans, je le vis qui était en train de lire une histoire dans un livre. Et j'ai eu peur. Il ne lisait pas cette histoire, il l'avalait, comme on avale de la nourriture ou de l'eau. Il n'y avait pas d'âme dans mon Daniel de quatre ans, il n'y avait que de l'esprit. Il était un esprit dans un corps sans âme.

(...)

Quand j'étais très jeune, mon père, qu'il repose en paix, se mit à me réveiller au milieu de la nuit, et je pleurais. J'étais un enfant, mais il me réveillait et me racontait l'histoire de la destruction de Jérusalem et des souffrances du peuple d'Israël, et je pleurais. Pendant des années, il a agi ainsi. Un jour, il m'emmena visiter un hôpital - ah quelle épreuve ce fut ! - et souvent il m'emmenait avec lui visiter les pauvres, les mendiants, pour que je les écoute parler. Mon père lui-même ne me parlait jamais, sauf quand nous étudions ensemble. Il m'enseignait en silence. Il m'enseignait à regarder en moi-même, à trouver mes propres forces, à me retirer en moi-même en compagnie de moi-même. Quand les gens lui demandaient pourquoi il était silencieux avec son fils, il leur disait qu'il n'aimait pas parler, que les paroles sont cruelles, que les paroles vous jouent des tours, qu'elles déforment ce qu'on a dans le coeur, qu'elles cachent le coeur et que le coeur ne parle que dans le silence. On apprend à connaître la douleur des autres en souffrant soi-même, disait-il, en se tournant vers soi-même, en découvrant sa propre âme. Et il est important de connaître la douleur, disait-il. Cela détruit notre orgueil, notre arrogance, notre indifférence à l'égard des autres.

(...)

Lentement, très lentement, je commençai à comprendre de quoi il parlait. Pendant des années, son silence m'étonna et me fit peur, bien que je lui eusse toujours fait confiance et que je ne l'eusse jamais haï. Et quand je fus devenu assez grand pour comprendre, il me dit que de tous les hommes, un tzaddik (= un juste, un saint) est celui qui doit connaître le mieux la douleur. Un tzaddik doit savoir comment souffrir pour son peuple, disait-il.

(...)

Même quand il danse ou quand il chante, il doit pleurer les souffrances de son peuple.

(...)

Reuven, je ne voulais pas que mon Daniel devînt comme mon frère, que celui-ci repose en paix. J'aurais préféré ne pas avoir de fils plutôt qu'un fils intelligent qui n'aurait pas eu d'âme.

(...)

Je ne voulais pas écarter mon fils de Dieu, mais je ne voulais pas non plus qu'il grandisse sans avoir d'âme. Quand il n'était encore qu'un enfant, je savais déjà que je ne pourrais pas empêcher son intelligence d'aller vers le monde du savoir. Je savais, dans mon coeur, que cela l'empêcherait peut-être de prendre ma place. Mais il fallait que je l'empêche de s'écarter tout à fait du Maître de l'Univers. Et il fallait que je m'assure que son âme serait celle d'un tzaddik, quoi qu'il fasse de sa vie.

(...)

Reuven, vous et votre père avez été une bénédiction pour moi.

(...)

Je regarde votre âme, Reuven, et non votre intelligence.

(..)

Mais votre âme, je la connaissais déjà. Je l'ai connue le jour où Daniel est revenu à la maison et m'a dit qu'il voulait être votre ami Ah, vous auriez dû voir ses yeux, ce jour-là !

(...)

Vous pensez que j'ai été cruel ? Oui, je vois dans vos yeux que vous pensez que j'ai été cruel avec mon Daniel. Peut-être. Mais il a appris. Que mon Daniel devienne psychologue.

(...)

Je ne crains plus rien maintenant. Toute sa vie, il sera un tzaddik."



Enfin, enfin, parce que je ne sais pas être courte, je profite de cet email pour m'adresser à Daniel, celui de la télé et de Libé. Vous m'avez toujours inspiré une chose, une seule, quand je vous apprécie, quand vous m'énervez parfois.

Je n'ai pas écrit ça pour vous, mais vous m'y faites penser. Bon, normalement, c'est en musique, après tout, vous vous êtes inventé une vie de compositeur, vous devriez entendre.

"
Ils ne connaissent pas le charme
Des cabines d'ultra violet,
Ils n'ont jamais versé de larmes,
De crocodiles de Morelet,
Ils sont souvent avares d'éloges ;
De révérence pour les puissants
Leur générosité se loge
Là où personne ne les attend.

A 20 ans non pyroxydés
A 40 ans, poivrés, salés,
Ni perruque ni soins esthétiques
Pour les cheveux des authentiques
Ces gens ne taisent pas leur âge
Ils ont la fierté de porter
Les quelques rides sur leur visage
Comme le reflet de leurs années.

Ils ne s'inventent pas des voyages,
Ni des castings ultra sauvages,
Ils n'ont jamais participé
A une mission au Zimbabwe.
Leurs aventures font pâle figure
Face à celles des super héros
Jamais ils n'auraient fait le mur
De leur collège dans l'Hérault.

Ils bouffent tout le temps du chocolat
Et font l'amour trois fois par mois,

Les gens sincères.

Merci, merci, à David, surtout, et à Daniel, aussi.