Les langues paternelles

Il est sorti le livre. En janvier. Il est là. Je les entends déjà, les pauvres langues paternelles. Tu en as encore fait de belles, mon fils. C'est quoi ce livre? Ca parle de moi? Je le savais, que tu y viendrais. Mais ce masque, là, ça rime à quoi? Tu ne te trouves pas assez beau, c'est ça? Ou alors je te fais honte? Mais non papa. D'abord tu es mort. C'est par rapport aux enfants. Je. Bon. C'est vrai que c'est une situation impossible papa. Ca ne m'étonne pas mon fils. Tu tiens de moi.

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Lieu : France

30 août 2005

Tu lui diras Joker

Votre texte il est tellement...tellement honnête, dit la dame de chez Robert Laffont. Quelques secondes pour trouver le mot. Tellement honnête. Vous êtes si dur envers vous-même. La scène de l'affrontement avec Stan que vous avez durcie, elle se retourne aussi contre vous-même.

Tellement honnête et alors? Et alors le pseudo, ce serait malhonnête? C'est ce que vous voulez dire?

Non ce n'est pas ça. Mais ça crée une ambiguité. Vous ne savez pas ce que les gens peuvent penser. Ils peuvent même penser que vous avez voulu vous faire de la pub, avec cette histoire de pseudo. Que c'est un truc de lancement.

Pierre: quand maman va le savoir elle va être vénère. Tu devrais lui dire. Moi: mais si je lui dis c'est un cadeau empoisonné. Elle va le répéter à ton frère, à ta soeur. Elle ne pourra pas s'empêcher. Et alors c'est fini, ça devient mes souvenirs. Ca se transforme en faits, en vérités, en procès-verbal de leur enfance, du divorce de leurs parents. Alors que c'est un roman.

C'est pour vous donner des pistes, que je l'ai écrit. Ce n'est pas une carte routière. Ah non ce n'est pas le GPS, ces langues paternelles. Des pistes de poussière, plutôt. Ah maudit vent de sable, la piste est effacée. Des pistes à suivre en faisant attention de ne pas se perdre. On n'est pas sûr, elle part à gauche, elle part à droite? Mais je crois que je l'ai assez bien balisée pour qu'elle vous mène au but. Tu te souviens des vieilles cartes du monde du Moyen Age, bien avant le GPS ? Celles qui imaginaient l'Inde de l'autre côté de l'océan? C'est ce genre-là, les langues paternelles.

Maman je lui expliquerai. Vénère peut-être qu'elle le sera, mais moins que si le livre paraissait avec son nom, et les noms de ses enfants. Et ton frère et ta soeur, tu y as pensé? Tu veux qu'ils lisent ça? Papa tu crois vraiment qu'ils le liraient, ce livre? C'est vraiment de leur âge? C'est vrai. Mais il n'y a pas que leur lecture à eux. Si les copains le lisent, les parents des copains. Ou pire: en entendent parler. Tu imagines l'ambiance à la récré? Alors ton père il raconte son divorce?

Oui mais si maman me demande je ne lui mentirai pas. Non bien entendu. Tu lui diras joker. Tu lui diras de me demander.

Qu'ils tombent sur ces mots ça ne me fait pas peur, je l'ai écrit pour eux. Qu'ils tombent sur ces mots, mais pas sous la pression. Qu'ils tombent sur ces mots, un jour au grand soleil, dans le silence de l'été. Par hasard dans les rayonnages. Ils auront besoin de silence tous ces mots.