Les langues paternelles

Il est sorti le livre. En janvier. Il est là. Je les entends déjà, les pauvres langues paternelles. Tu en as encore fait de belles, mon fils. C'est quoi ce livre? Ca parle de moi? Je le savais, que tu y viendrais. Mais ce masque, là, ça rime à quoi? Tu ne te trouves pas assez beau, c'est ça? Ou alors je te fais honte? Mais non papa. D'abord tu es mort. C'est par rapport aux enfants. Je. Bon. C'est vrai que c'est une situation impossible papa. Ca ne m'étonne pas mon fils. Tu tiens de moi.

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Lieu : France

08 mai 2006

Mes 24 heures avec vous

Voilà. C’est fait. J’ai reposé le livre tout à l’heure, sur la table, à côté de la tasse de café vide ; il devait être 9 heures. À peu près l’heure à laquelle je l’avais acheté hier. Comme une impression de soulagement, et puis l’envie de vous dire un peu comment c’est arrivé, tout ça. Vous dire tout ce qui s’est passé dans ma tête depuis hier. Et vous dire à quoi je pense, à qui je pense, à présent, maintenant que j’ai tourné la dernière page et reposé le livre.

Tout est venu des inrockuptibles, en fait. Ben ouais, c’est comme ça, on n’y aurait pas cru, hein ? Mais tout est venu des inrockuptibles, de mon ancien jules qui appréciait les émissions de critique télévisuelle, et d’un samedi après-midi envie-de-rien, envie-de-personne, rester dans le silence de mon chez-moi, et vagabonder sur la blogosphère en explorant la sélection des inrockuptibles. Et dans cette sélection, il y avait le blog de votre grand frère, qui justement parlait de vous, sur son dernier post. Alors, dans la solitude de ce samedi après-midi, prélude à un long week-end où beaucoup se sont échappés hors de paris, je me dis que j’aimerais bien passer une journée avec david serge. Comme ça. Un genre de relation fusionnelle éphémère, 24 heures avec david serge, je sais pas trop qui c’est mais oui, j’en ai bien envie. Demain matin j’irai le chercher pour qu’on passe la journée ensemble. Et c’est comme ça que le marathon commence.

Ça commence donc dans une petite librairie du XIXe qui a le grand mérite d’ouvrir le dimanche matin. Le silence absolu. Le murmure des pages qu’on feuillette. Je survole les présentoirs, je cherche au rayon « romans », je jette un œil à côté de la caisse, rien. C’est une blague ? Quand même, le frère de ! La révélation fracassante ! La nouvelle qui vous laisse bouche bée ! Mais non. Ma voix interrompt le calme silence de la boutique pour questionner le vendeur plongé dans ses lectures. Tête un peu ahurie. Je connais pas…C’est quoi ? « Euh…c’est un livre… » (il doit me prendre pour une demeurée) « …qui est sorti…il n’y a pas très longtemps, je crois. Chez robert laffont. ». Ah. Farfouille sur l’ordinateur. Ça doit être dans les stocks. Descend quelques étages. Finit par revenir avec david serge dans la main. Et moi, envie de lui dire : « Mais enfin, david serge, le frère de, ça vient de tomber, tout frais, pas encore dans les journaux ! Présentoirs, piles en évidences, en parler aux clients, énorme, énorme ! » Et puis non. Je ne dis rien. Davis serge, c’est david serge, et tant qu’il peut encore rester dans la douce chaleur d’un anonymat tranquille, ce n’est pas moi qui lui ôterais ce confort-là. Donc rien. Je vais passer mon dimanche avec david serge. Au revoir monsieur, merci.

Vous vous demandiez si les gens ne lisaient plus que dans le train. Moi, ça dépend des livres. Il y en a qui se lisent dans le train, dans le silence, et cette impression que les choses avancent d’elles-mêmes. Il y en a qui se lisent dans la nuit, sous les étoiles et la couverture, longtemps, ce temps infini de la nuit. Il y en a qui se lisent dans la fièvre, n’importe où, n’importe comment, à peine le temps de manger, trop urgent, trop envie. Avec vous, david, j’avais besoin de sentir la vie. Sentir des histoires autour de moi. Sentir la présence des hommes. Donc je m’installe dans un café tout proche, suffisamment calme pour que nous soyons bien tous les deux, mais avec quelques personnes autour de nous. Et là, assis face-à-face, les yeux dans les yeux, vous m’avez parlé de la mort, david. Un torrent de paroles qui sortait de votre bouche. Les mots s’enchaînaient vite, les phrases se chassaient l’une l’autre, mais vous parliez toujours à mi-voix, juste pour moi. C’est le mystère du livre, cette communication de un à un. Vous parliez, vous parliez, et je vous découvrais si différent de votre frère, david. Je n’aurais jamais imaginé. C’est étrange. Vous êtes un rescapé. Je ne pensais pas.

J’ai dû m’absenter vers midi. Parce que le dimanche, je déjeune avec mon père, c’est sacré. Je suis passée dans une pâtisserie du coin pour choisir les gâteaux, ça aussi c’est sacré, les gâteaux le dimanche. Un baba au rhum pour mon père. Une tarte aux framboises pour moi. Mon père, c’est le genre présent, omniprésent, omnipotent, d’ailleurs il est à quoi, quatre cents mètres de chez moi. Moi qui ai déjà vingt-huit ans. C’est drôle, les hasards de la vie. Donc je vous ai laissé un peu seul, dans ces petites rues du XIXe, mais on s’est retrouvés le soir, vers 18 heures, vous vouliez me parler des enfants, il faisait beau, je vous ai proposé d’aller s’asseoir sur l’herbe au parc monceau. Il y avait encore quelques groupes par-ci par-là, des petites filles qui jouaient au ballon, des vieux monsieurs assis sur un banc. On s’est posés tous les deux contre un arbre, une sorte de houx, vue dominante sur le parc, on était tranquilles. Vous m’avez parlé, encore. L’abandon. Se construire sur les ruines. Les mots. Les errances. Vos enfants. Je vous découvrais peu à peu.

Il y eut la nuit, ensuite, c’était dur, c’était dur. Réveillée à 3 heures, pas sommeil, envie de vous entendre un peu, et là il y avait les cris, l’incompréhension, le divorce. C’était dur. Rendormie la peur au ventre et l’impression que la vie est une grande escroquerie. Comment tout ça va-t-il finir ? Un sommeil agité. Mais le jour finit par se lever.

Et on s’est dit adieu au matin tôt, encore dans un café. Je vous ai fait peur, je crois. Vous avez vu mon visage fatigué, mon regard inquiet, et au moment des dernières paroles, vous avez voulu trouver les mots qui rassurent. Me dire que la vie n’est pas si mauvaise qu’on le croit. On se construit sur des ruines, bien sûr, mais en dessous des ruines, il reste les fondations. Ce qui ne se voit pas. Elles existent, forcément, il suffit de les trouver. Vous me parliez tout doucement, avec cette bienveillance et ce respect paternel qui m’ont manqué, je crois. Le respect surtout. Le respect de l’enfant, de sa vie, de ses secrets, de ses choix. Le respect, c’est peut-être savoir laisser l’enfant s’éloigner quand il en a besoin. Qu’il prenne son envol. Vive sa vie à lui. Je vous ai dit combien tout cela m’avait manqué, me manquait encore. Vous m’avez dit en souriant qu’il n’y a pas de père parfait. Vous m’avez dit tout cela, et puis vous vous êtes levé pour partir. Et moi, plongée dans mes pensées, je m’en suis aperçue trop tard, et je n’ai pas eu le temps de vous serrer dans mes bras.

Alors voilà, david, maintenant que vous m’avez confié tout cela, je voulais vous dire trois petites choses. D’abord, je voudrais m’excuser. M’excuser parce que, c’est vrai, si je suis venue vous voir, c’est à cause de votre frère. J’aurais préféré qu’il reste en dehors de tout ça. Vous aussi, visiblement. Mais bon, soyons lucides : s’il n’y avait pas eu votre frère, est-ce que je vous aurais rencontré ? Peut-être pas. Donc il m’a quand même rendu un grand service. Vous le remercierez.

Oui, david, remerciez-le de m’avoir parlé de vous. J’imagine combien ce fut difficile, de s’exposer ainsi, sans armure, sans carapace, face au regard des autres. Et j’imagine que ce sera encore difficile, pour lui, d’entendre les gens le questionner sur son frère, son frère d’une autre vie, la vraie, pas celle de la télé et du monde des grands. On va l’accuser de toutes sortes de choses. De n’avoir pas su protéger sa famille, de se faire un coup de pub sur le dos des siens, d’avoir exposé au grand public un récit qui aurait dû rester dans la sphère privée. David, david, sachez-le bien, votre livre m’est absolument nécessaire. Indispensable. Il fait désormais partie de mon existence. Un livre, c’est pas de la presse people, c’est pas du racolage, parce que c’est toujours une relation de un à un. Cette relation existe et nul ne pourra vous la voler. C’est tout.
Et une dernière chose, david. Un petit message pour l’ego de l’auteur qui veut savoir si « on a aimé ». Je suis totalement incapable d’émettre un jugement de ce genre sur ce livre qui fait désormais partie de ma vie. Mais sachez une chose, qui m’est apparue avec évidence au fil des pages. Votre livre, je vais l’offrir. A vincent, d’abord. Parce que votre livre, c’est aussi l’histoire de vincent. Il faut qu’il le lise. Je vais l’appeler. Et puis à jean-françois, mon confident-amant-protecteur, je ne sais plus comment l’appeler, c’est peut-être le père que je me cherche d’ailleurs, enfin de toute façon il faut qu’il le lise, que nous puissions partager ça ensemble. Et puis à simon, parce que c’est un peu son histoire, à lui aussi. Bon, d’accord, ça fait un bail que je ne l’ai pas vu, le simon ; la dernière fois ce devait être il y a 6 ans, le hasard des correspondances du métro ; n’importe, je garderai un exemplaire dans mon sac, si jamais ça se reproduit je lui laisserai, avec mon mail pour qu’il me raconte un peu ce que vous lui avez dit. Voilà. Je vais donc aller racheter trois ou quatre livres, seulement les librairies ouvertes le 8 mai, ça ne court pas les rues, et puis il est déjà onze heures ; donc je vous laisse david, portez-vous bien, c’était un plaisir de passer cette journée ensemble. Et revenez quand vous voulez.

valentine