Les langues paternelles

Il est sorti le livre. En janvier. Il est là. Je les entends déjà, les pauvres langues paternelles. Tu en as encore fait de belles, mon fils. C'est quoi ce livre? Ca parle de moi? Je le savais, que tu y viendrais. Mais ce masque, là, ça rime à quoi? Tu ne te trouves pas assez beau, c'est ça? Ou alors je te fais honte? Mais non papa. D'abord tu es mort. C'est par rapport aux enfants. Je. Bon. C'est vrai que c'est une situation impossible papa. Ca ne m'étonne pas mon fils. Tu tiens de moi.

Nom :
Lieu : France

11 août 2006

A la conquête de mots plus simples, les 0 et les 1

Cher David,

J'ai vécu moi aussi dans un camp de louveteaux, quatre longues années, durant le collège. Intello, tout était dit. Peut-on être brillant dans une ZUP ? Intello. J'ai essayé de me déguiser, de me dénaturer, mais mes résultats me collaient à la peau. Alors, de rage, j'ai cogné, je me suis battu, j'ai fait mordre la poussière aux mécontents, mais ça m'a pris quatre ans, quatre longues années pour me faire respecter dans un monde qui n'était pas le mien. Un monde dont la langue se parle avec les poings. Pas d'autre solution. Les autres disaient, je vais appeler mon père, tu vas voir. Moi, je baissais la tête et serrais les poings. Qui était là pour me défendre ? Personne. Pas lui en tout cas. Juste là pour me rabaisser. Jamais un mot pour me dire qu'il était fier de moi, de mes résultats. Qui a deux maisons perd la raison. Je n'en avais qu'une. Malheureusement. Ou alors une et demi. Une demi où je n'avais pas ma place. Une demi où je me suis toujours senti mal à l'aise. Pas sûr de moi. Rabaissé. Mais tu ne sais pas te servir d'un marteau ? Quel maladroit ! Ah ça, qu'est-ce que tu es maladroit !

Maintenant, je sais. Me servir d'un marteau et que ce n'était pas de ma faute si je ne savais pas. Il rejetait sa culpabilité sur moi. Sa culpabilité de ne pas m'avoir appris les langues paternelles. Et ça a fonctionné. Mais ça ne fonctionne plus. Vous avez su pardonner, David. Moi, je crois que je ne saurais pas. Comme je suis dur. Tu ne dis jamais merci. Je t'offre un cadeau et tu ne me dis jamais merci. Avoir un fils pareil ! Tu pourrais me remercier. Désolé ça reste coincé dans ma gorge, là, mais comment t'expliquer ? Egocentrique, tellement égoïste qu'il ne peut me comprendre. Sa femme l'a quitté, mais il n'a pas compris. Et il traite ses petits enfants de la même manière. Mais je suis là. Rempart de paille pour les protéger. Et puis, pour eux, ce n'est qu'un grand-père après tout.

Alors, je suis moi aussi parti à la conquête des mots, en solitaire. Mais des mots plus simples. Des mots composés de 0 et de 1. Des mots sans équivoque. Plus faciles à dompter. Plus rationnels. Et j'ai réussi. Maintenant les gens viennent du monde entier pour voir comment je les ai dressés. C'est fou ce que l'on peut faire avec des 0 et des 1. Des mégas, des gigas et même des téras, David. Pourtant, j'entends une voix au fond de moi. Une voix qui se nourrit de mots et qui rêve d'écriture. Une voix qui veut parler avec ses propres mots et les aligner sur le papier. Bien rangés. Mais on ne peut maîtriser qu'une langue correctement, j'ai bien peur. Moi, c'est celle des 0 et des 1. Puis, j'ai décidé de me trouver un père. Enfin, je ne m'en rendais pas compte. J'étais un petit chien attendant un susucre. Je le suis toujours. Mais au moins je le sais. Comme vous cher David, je me suis acharné à copier. Les personnages historiques et les rencontres dûes aux hasards de la vie. Mais je n'ai rien trouvé. Ou alors ma soif est inextinguible. Ou alors je n'ai pas eu de chance. Alors je cherche toujours. Mais sans illusion. Un jour j'ai décidé de ne plus parler. Gros caprice, moi aussi. Seul avec mon monstre tiède, monstrueux comme jamais. Fermé à toute tentative d'ouverture. Vous allez payer par mon mutisme. Toutes vos fautes. Ca a duré. Des jours. Je ne sais plus combien. Ce sont les larmes de ma grand-mère qui ont réussies à ouvrir la porte. L'amour brut d'une mamie. Sans calcul, mis à nu. C'est lui, qui a vaincu le monstre tiède. Pour un temps...

Allez une dernière anecdocte, pour la route. Un jour, je suis devenu père moi aussi. Mon père avait fuit ma naissance, s'était embarqué sur les bateaux pour faire plusieurs fois le tour du monde. Moi, le plus beau jour de ma vie, je tenais la main de ma femme. Puis, je suis rentré chez nous. Tout seul. Et j'ai eu envie de partir. J'ai eu la peur de ma vie. Peur d'une petite fille de quelques kilos. La peur de ma vie. Je ne pensais plus qu'à une chose partir. Prendre les jambes à mon cou. La poudre d'escampette. Enfin, n'importe quoi pour ne plus être là. J'ai résisté et j'ai vaincu ma peur. Ca m'a mis la puce à l'oreille. Et si, et si, ça avait été la même chose pour lui ? Bon, je parle de moi, mais je vous ennuie peut-être, cher David. Ce sont les vacances. Vous êtes peut-être au bord d'une piscine ou sur une plage. Avant de se quitter, je voulais vous remercier. Vous avez su mettre des mots sur mes souffrances. Et j'ai ri aussi. Car j'ai dû tout inventer comme vous. Le support à vélo, comme le remplissage du coffre. Alors forcément je ressens une espèce de communion d'âme avec vous, mêlée à de l'envie pour votre talent, pour avoir su trouver les mots que j'aimerais écrire. Mais, je ne vous en veux pas, à chacun sa langue. Julien

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

David, cher David, les langues des autres cherchent à prendre la parole poussées par la vôtre, cette langue du fils, du père. Je sais que vous avez tant à faire, à dire, à explorer entre les mots, la porte entrouverte laissant filtrer des morceaux de nous, entiers. Les mots, chacun peut les trouver, ajustés comme il faut aux cris que l'on aimerait pousser, Tintin, Julien, Valentine, Bernadette, Roland (qui joue au disparu). David, cher David, quel bonheur inattendu de vous avoir trouvé.

09:16  

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