Les langues paternelles

Il est sorti le livre. En janvier. Il est là. Je les entends déjà, les pauvres langues paternelles. Tu en as encore fait de belles, mon fils. C'est quoi ce livre? Ca parle de moi? Je le savais, que tu y viendrais. Mais ce masque, là, ça rime à quoi? Tu ne te trouves pas assez beau, c'est ça? Ou alors je te fais honte? Mais non papa. D'abord tu es mort. C'est par rapport aux enfants. Je. Bon. C'est vrai que c'est une situation impossible papa. Ca ne m'étonne pas mon fils. Tu tiens de moi.

Nom :
Lieu : France

15 février 2006

Si tous les morts étaient comme toi

Ca ne va pas vous plaire. Mais je le dis quand même. Il y a comme un malentendu. Il s'amorce. Je le vois qui se cristallise. L'inévitable malentendu. Vous arrivez ici et c'est une sorte de communion que vous cherchez je le vois bien. Autour de la disparition. Du deuil, du grand chagrin, je lui ai fermé les yeux, comme elle me manque, toutes vos souffrances. Pierre Assouline et son très beau passage sur le téléphone. Et l'autre soir la présentatrice à la voix si juste qui ne tremble pas. Les clés laissées aux enfants par les parents qui disparaissent trop tôt. Une phrase comme ça, avec sa voix si juste. Un très très beau récit sur les parents qui disparaissent trop tôt.

Trop tôt. J'ai écrit ça? Moi?

Il voudrait mettre les choses au point, l'auteur. Attention attention. Pendules à l'heure. Même si ça ne vous plait pas.

Trop tôt? Tu aurais disparu trop tôt, petit papa? Mais non c'est pas trop tôt, pas du tout. Tu avais quatre-vingt sept ans, moi quarante-trois, il était temps. J'étais en âge de supporter. Et même papa, si tu veux savoir, j'attendais. Depuis un certain temps. Avec une impatience certaine je l'attendais qu'on passe à autre chose. Je ne sais pas quoi, mais autre chose. Il fallait que tu meures pour qu'on arrive à se parler comme aujourd'hui. Quelle tchatche aujourd'hui. Quelle loquacité. Quelle qualité de relation. On n'arrête plus. Jamais je ne t'ai tant parlé. Et quelles conversations. Auster Kafka Weyergans rien que du top niveau. Guitry et Fréhel sont dépassés depuis longtemps. Mais il fallait cette étape-là ta mort, ce petit départ de rien du tout, pour que je sache les écouter les voix. Que j'en aie la curiosité. Alors trop tôt, non pas trop tôt, tu es mort à ton heure, ponctuel, rien à dire. Un mourant exemplaire, et aujourd'hui un mort parfait. Docile. Si tous les morts étaient comme toi.

Oui mais. Mais il ne t'appartient plus le livre petit auteur. Il est aux autres. A tous les autres. Ce que tu as voulu dire, ce n'est plus toi qui le sais. C'est eux. Ils piochent ce qu'ils veulent, entendent ce qu'ils veulent, ils trouvent ce qu'ils veulent, ils disent ce qu'ils veulent.