Alors, ce rapport au judaïsme? C'est bien gentil, de persifler, mais tu vois où ça mène. Un jour ou l'autre, tu ne pourrais pas cesser de grincer, et expliquer à France Palmer, ton rapport au judaïsme? Alors France, écoutez. Le judaïsme, je n'ai rien contre. C'est comme le foot ou les chiens. Je vous explique. Un beau match de foot, ne croyez pas, j'apprécie comme tout le monde. Un dribble de Zidane, un arrêt de Bartez: vous m'auriez vu, pendant la finale, en 98. Le problème, c'est tout ce qu'il y a autour. La pub. Les supporters. La bière. Le bruit. Les hurlements. La connerie. Eh bien le judaïsme (j'ose à peine dire, vous allez encore penser que je persifle) depuis tout petit c'est pareil. Intrinsèquement, je trouve ça plutôt sympa. Surtout l'ouverture de la mer rouge. Ca l'ouverture de la mer rouge, ça m'a toujours pénétré jusqu'au plus profond. C'est mon tableau préféré. Dix mille fois, j'ai fait re-play. Pharaon dans le dos, tout espoir est perdu, et hop, la mer qui s'ouvre comme une fermeture éclair. Je l'ai dans le sang, la mer rouge. Au deuxième rang, je mettrais (évidemment) David et sa fronde. Plus classique, mais ça marche bien aussi. Bon évidemment, comme je dis dans le livre, je la trouve un peu dure, cette religion. Ca manque de douceur. La douceur des dissidents, vous savez France, la secte fondée par l'autre, là, j'apprécie aussi. La charité le pardon la confession les chuchotements, on se laisse prendre. Evidemment on ne perd pas de vue les côtés noirs, la perversité, les frustrations. Bref. C'est un autre débat.
Alors?
Alors c'est comme le foot. Mon problème ce n'est pas le judaïsme, c'est ce qu'il y a autour. Ou plutôt, pour tous ceux qui y plongent, qu'il n'y a plus rien d'autre autour. Ceux qui tombent dans le judéoscope, France, ils n'en sortent plus jamais. Tout tourne autour. Les prescriptions, la nourriture, le rabbin qui vous déchire la chemise, les clubs de vacances, le soutien à Israël, la Bar Mitsva, l'étude des romanciers juifs, des philosophes juifs, des musiciens juifs, des peintres juifs. On mange juif, on se réveille juif, on s'endort juif, on rêve juif, on cauchemarde juif, on s'attendrit juif, on s'énerve juif, on drague juif, on achète juif, on emprunte juif, on voyage juif, etc. Il y a un mot goy pour ça, en ce moment: le repli communautaire. Mais ça ne date pas d'aujourd'hui. Quand j'avais douze ans, ma mère m'a donné le choix entre éducation religieuse et judo. Je suis allé une fois à la synagogue de la rue Copernic. J'ai eu l'impression de tomber chez les fous, ou chez les supporters de foot. Je me souviens d'une scène d'hystérie, à un moment, pour toucher un machin que portaient des types qui sont entrés par le fond de la pièce (les rouleaux de la Torah je crois, ou quelque chose comme ça). Garçons et filles étaient prêts à se marcher dessus pour pouvoir toucher les trucs, même une petite mignonne en socquettes blanches que j'avais repérée depuis le début de la matinée. J'en ai été atterré. C'est comme la piscine, France, puisque vous avez lu le livre. Je n'ai pas plongé. Pas comme les autres. Une fois pour toutes. J'ai donc pris judo. Et je n'ai jamais regretté, même si j'en suis resté à la ceinture orange.
Je suis juif, France, c'est une affaire entendue. Ni particulièrement fier ni honteux, c'est comme ça. Mais surtout, je suis, et je veux continuer à être, plein d'autres choses en même temps. Français, Européen, fils, père, frère, écrivain, amateur de Côtes du Rhone et de pot au feu, amoureux de l'histoire de France et des grands parcs américains. Je veux avoir le droit de continuer à pouvoir être de partout, et de toujours. Oui j'ai la mer rouge dans le sang, mais aussi la chanson des rois mages, le député Baudin qui se fait trouer la peau pour vingt cinq francs par jour, plein de vers d'Aragon, quelques pages de Coetzee, des odeurs new yorkaises, le coucher de soleil sur Chenonceaux, vous voyez France, plein de machins goys, qu'on trouvera quand on m'ouvrira. Alors ce n'est pas du persiflage, je crois. C'est de l'hygiène, ou de la résistance à cette attraction-là, comme à toutes les autres. Elle est forte, l'attraction. Et vous en êtes encore une manifestation, France (ne le prenez pas mal) quand vous me dîtes que j'ai 18 sur 20 partout, sauf en intérêt juif, où le livre ne passe pas la barre. Oui d'accord, il n'y a peut-être que 10% de judaïsme, dans le livre. Il faudrait regarder l'étiquette. Et alors? Ce n'est pas ça, l'intégration?
Et les chiens? C'est pareil. Je n'ai évidemment rien contre les chiens. Il y en a de très mignons. Mais les propriétaires de chiens...
Merci Elisabeth, Bernadette, Roland, et tous les autres. Ca fait plaisir, vraiment. Ca fait du bien.