Les langues paternelles

Il est sorti le livre. En janvier. Il est là. Je les entends déjà, les pauvres langues paternelles. Tu en as encore fait de belles, mon fils. C'est quoi ce livre? Ca parle de moi? Je le savais, que tu y viendrais. Mais ce masque, là, ça rime à quoi? Tu ne te trouves pas assez beau, c'est ça? Ou alors je te fais honte? Mais non papa. D'abord tu es mort. C'est par rapport aux enfants. Je. Bon. C'est vrai que c'est une situation impossible papa. Ca ne m'étonne pas mon fils. Tu tiens de moi.

Nom :
Lieu : France

31 août 2005

Nu devant ses lecteurs

Mais si vraiment tu tiens tant au roman, David, pourquoi ne pas publier sous ton nom, et écrire roman sur la couverture ? Au moins ce sera clair. Personne ne viendra te chercher des poux. Tes histoires de famille, personne ne les connaît.

C’est vrai. Je n’y avais pas pensé. Mon nom. Roman. Mon nom. Roman. Visualiser la couverture. C’est moi, c’est bien moi, mais ce n’est qu’une histoire inventée. C’est moi, mais tous les personnages sont faux. La belle histoire que j’ai inventée ! J’ai écrit un roman. Bien sûr un peu inspiré de mon enfance, de mon histoire, un peu, mais sans plus. C’est un roman sur la paternité.

Non. Même ainsi l’accueil serait parasité. Non c’est David Serge qui écrira. Et je sais pourquoi. Les raisons avancées, je ne crois pas qu'elles soient les vraies. Ni pour les enfants ni pour M. Ni pour maman. La solution roman serait aussi protectrice. Ni pour me protéger moi-même, je n’ai peur de rien. Je le fais pour le texte. Pour ce texte, je préfère le silence, à des réactions parasitées par cet un auteur qui sera forcémednt embarrassant. Dieu comme c'est embarassant, un auteur. Oui, protéger le texte. Je veux qu’il se présente nu devant ses lecteurs.

30 août 2005

Tu lui diras Joker

Votre texte il est tellement...tellement honnête, dit la dame de chez Robert Laffont. Quelques secondes pour trouver le mot. Tellement honnête. Vous êtes si dur envers vous-même. La scène de l'affrontement avec Stan que vous avez durcie, elle se retourne aussi contre vous-même.

Tellement honnête et alors? Et alors le pseudo, ce serait malhonnête? C'est ce que vous voulez dire?

Non ce n'est pas ça. Mais ça crée une ambiguité. Vous ne savez pas ce que les gens peuvent penser. Ils peuvent même penser que vous avez voulu vous faire de la pub, avec cette histoire de pseudo. Que c'est un truc de lancement.

Pierre: quand maman va le savoir elle va être vénère. Tu devrais lui dire. Moi: mais si je lui dis c'est un cadeau empoisonné. Elle va le répéter à ton frère, à ta soeur. Elle ne pourra pas s'empêcher. Et alors c'est fini, ça devient mes souvenirs. Ca se transforme en faits, en vérités, en procès-verbal de leur enfance, du divorce de leurs parents. Alors que c'est un roman.

C'est pour vous donner des pistes, que je l'ai écrit. Ce n'est pas une carte routière. Ah non ce n'est pas le GPS, ces langues paternelles. Des pistes de poussière, plutôt. Ah maudit vent de sable, la piste est effacée. Des pistes à suivre en faisant attention de ne pas se perdre. On n'est pas sûr, elle part à gauche, elle part à droite? Mais je crois que je l'ai assez bien balisée pour qu'elle vous mène au but. Tu te souviens des vieilles cartes du monde du Moyen Age, bien avant le GPS ? Celles qui imaginaient l'Inde de l'autre côté de l'océan? C'est ce genre-là, les langues paternelles.

Maman je lui expliquerai. Vénère peut-être qu'elle le sera, mais moins que si le livre paraissait avec son nom, et les noms de ses enfants. Et ton frère et ta soeur, tu y as pensé? Tu veux qu'ils lisent ça? Papa tu crois vraiment qu'ils le liraient, ce livre? C'est vraiment de leur âge? C'est vrai. Mais il n'y a pas que leur lecture à eux. Si les copains le lisent, les parents des copains. Ou pire: en entendent parler. Tu imagines l'ambiance à la récré? Alors ton père il raconte son divorce?

Oui mais si maman me demande je ne lui mentirai pas. Non bien entendu. Tu lui diras joker. Tu lui diras de me demander.

Qu'ils tombent sur ces mots ça ne me fait pas peur, je l'ai écrit pour eux. Qu'ils tombent sur ces mots, mais pas sous la pression. Qu'ils tombent sur ces mots, un jour au grand soleil, dans le silence de l'été. Par hasard dans les rayonnages. Ils auront besoin de silence tous ces mots.

23 août 2005

Comme Marc Lévy

Un blog? Oui c'est une bonne idée, dit la dame de chez Robert Laffont. Ca marche, les blogs. Je sens que l'idée du blog la rassure. Elle va avoir quelque chose à dire, une voix pour défendre le livre. C'est important, une voix. Parce que si on n'a personne pour défendre le livre, je ne vous dis pas comme on va se faire massacrer à la mise en place. Déjà le directeur commercial m'a dit que. Je suis d'accord. Et moi j'ai envie d'en parler, de ce texte. Enfin, d'écrire. Puisque c'est ma maison, l'écriture. Non, bonne idée vraiment, le blog. Et si on mettait même l'adresse en quatrième de couverture? Avec l'adresse mail de l'auteur? Ce serait la première fois qu'on fait ça. Soudain dans le café, on nage en pleine blogeuphorie. Et le directeur commercial, Nicole, donnez-lui donc l'adresse du blog. Et les représentants, donnez-leur mon mail. Je répondrai à tout le monde. Je me sens prêt à bloguer, à mailer, avec tous les représentants, tous les lecteurs de la terre. Comme Marc Lévy, dit Nicole. Ah bon, Marc Lévy répond à tout le monde? Eh bien je ferai comme Marc Lévy.

21 août 2005

En parler à Franz?

Si je dois en parler à Franz, je ne sais pas.

C'est mon frère après tout.

Oui mais il ne pourra pas s'empêcher d'en parler à maman. Et alors là...

Demander à Pierre, comme d'habitude. L'évidence du fils ainé. Et toi Pierre qu'en penses-tu?

Tu dois lui en parler, papa.

Ah oui? Et pourquoi donc?

Parce que c'est ton frère. Point final.

20 août 2005

Robert Laffont, préparation du deuxième rendez-vous

Bon. Je la vois mardi, la dame de chez Laffont. La question de l'anonymat, elle va me la reposer. Normal. Je l'entends déjà.

Alors tu réponds quoi?

Je réponds que par rapport aux enfants, à la famille, c'est la seule solution. Enfin je lui redis, parce que je lui ai déjà dit, après qu'ils aient accepté le manuscrit. Elle va comprendre. Par rapport à ma mère, aussi. C'est une mère, sûrement. Numéro deux de Robert Laffont, elle a édité Chirac, mais c'est une mère, non? Ma mère ça la tuerait. Elle peut comprendre ça, non?

Elle va te répondre que les enfants liront un jour.

Bien sûr qu'ils liront un jour. Puisque c'est pour eux. Pour les guider sur mes traces. Et les égarer un peu aussi bien sûr. Continuer le jeu de piste si vous voulez avec de sacrés indices. Mais ce sera un jour. Plus tard. Pas tout de suite. Quand ils seront de taille à porter ça. Je crois qu'elle peut comprendre ça.

Elle va te demander ce que tu feras si tu es dévoilé.

Je lui dirai que je ne sais pas.

19 août 2005

Anniversaire de Pierre

Deux disques de Brel à la FNAC pour les dix-neuf ans de Pierre. Regarde bien petit, regarde bien. Il y a un homme qui part que nous ne saurons pas. Il faut sécher tes larmes. Tu peux ranger les armes. Toujours le même frisson. Une génération plus tard.

Pierre est au courant, pour le livre. C'est le seul. Les deux autres, trop petits. Et aucun autre personnage. Mais Pierre c'est l'évidence du fils ainé. Il a tout suivi, tout du long. L'écriture, l'acceptation du manuscrit, tout. Il a lu. Il a pleuré, un peu. Il a dit: "finalement, tu n'as pas été un trop mauvais père".

Trente ans peut-être que je n'avais pas écouté Brel. Une génération. Et elle est intacte l'émotion. Transmettre ça à Pierre. Au moins ça. Et le livre. Ecoute bien petit. Ecoute bien.

Les complications commencent

Le manuscrit a été envoyé par la poste. Il fallait qu'elles fassent leur chemin toutes seules, les langues paternelles.

Deux éditeurs l'ont refusé, avec une lettre. Normal. Un éditeur n'a jamais répondu.

Un jour Robert Laffont a téléphoné. Ils voulaient bien publier. Il n'y avait même pas à changer la structure du texte. Que des modifications de détail. beaucoup, mais des modifications de détail.

Oui mais. L'auteur n'a pas dansé de joie. Pas le genre à danser de joie, de toutes manières. L'auteur s'est dit, les complications commencent.

Tout va être compliqué. L'auteur ne veut pas apparaître. Rapport aux personnages, qui sont encore vivants, et même en pleine santé. Rapport au texte aussi. Toujours cette sacrée idée qu'il doit faire son chemin tout seul, comme un grand. Il n'a pas besoin d'auteur pour lui tenir la main.

Ca va être compliqué, dit la dame de chez Robert Laffont. Il faut qu'on en parle ça va être compliqué. Bon alors on se voit mardi. Toujours pas au bureau, le rendez-vous? Eh non toujours pas. Toujours à la brasserie en face. Toujours ces manies de conspirateur. Soupir de l'éditrice. Ca va être compliqué. J'en suis bien d'accord.

C'est compliqué cette histoire. Dans un drôle de pétrin tu t'es fourré avec ce texte surgi de nulle part. Quel besoin avais-tu? Laisser une trace pauvre petit père tu en laisseras une de toutes manières. On en laisse toujours, une trace. Même sans écrire une ligne. La preuve. Alors? Quel besoin de construire ce jeu de piste? Bonne question.

18 août 2005

Elles parlent de quoi les langues paternelles?

C'est l'histoire d'un fils qui se retrouve devant le corps de son père. Même pas froid, le corps.

C'est l'histoire de deux enfants, un père et son fils, qui s'en vont par les rues. C'est l'histoire du père que le fils est devenu.

C'est l'histoire des mots du père que recrache le fils parce qu'il faut bien les recracher. C'est l'histoire des mots qui les ont séparés, puis recollés.

C'est l'histoire, mais c'est aussi de la géographie. De Belleville au Racing en passant par la rue de Rivoli il y a aussi des lieux dans cette histoire, une vraie cartographie.